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pas un n’aurait trahi le meurtrier. Les gens de justice se remuaient en vain. Qu’en résultait-il ? Le jury, furieux de ne pouvoir atteindre les vrais coupables, frappait quelquefois des innocens sur de trop vagues indices. Les conjurés s’en irritaient d’autant plus et par représailles immolaient de nouvelles victimes. Certes on ne saurait trop flétrir ces vengeances odieuses ; convenons cependant que les propriétaires, en abusant des droits que la loi leur conférait, étaient souvent imprudens, cruels même, et que le gouvernement anglais, à qui il appartenait d’accorder à tous une égale protection, était blâmable de ne pas établir, par une législation nouvelle, les garanties dont les paysans avaient besoin.

C’était si bien le vœu du pays tout entier que des associations se formèrent dans tous les comtés pour la protection des tenanciers (tenant protection societies). Presbytériens et catholiques s’unirent sur ce projet de réforme sociale, tant il est vrai que c’était alors la pensée dominante. Le programme était de faire déclarer légale, par un acte du parlement, la coutume de l’Ulster, qui, paraît-il, n’était pas toujours observée même dans cette province. Elle se résume en trois articles : Le tenancier ne peut être évincé que dans le cas où il ne paie pas ; la rente de la terre ne doit être augmentée qu’à proportion de l’accroissement général du prix des choses ; les améliorations exécutées par le tenancier constituent à son profit une propriété dont il est le maître de disposer à prix d’argent lorsqu’il quitte le domaine ; par exemple, le propriétaire ne peut l’évincer, faute de paiement, qu’après lui avoir remboursé la valeur de ces améliorations[1]. Lorsque la question eut été bien discutée par la presse et dans les clubs des campagnes, une réunion des personnages les plus influens des quatre provinces se tint à Dublin pour formuler les résolutions que l’on désirait faire prévaloir. Séance tenante, les délégués organisèrent une ligue (Irish tenant league) dont les adhérens s’engageaient à prendre en toute occasion la défense des réformes proposées.

C’était en 1850. Bien que cette agitation eût fait quelque bruit

  1. Ce programme paraît si équitable qu’on est surpris qu’il n’ait pas été consacré par la loi anglaise longtemps avant 1870. Dans notre Bretagne, où les vieilles coutumes irlandaises étaient restées en vigueur, la liquidation entre les anciens possesseurs de fiefs et les tenanciers s’est opérée, si nous sommes bien informé, d’après ces principes. Les premiers ont été autorisés à se rédimer des droits créés au profit des seconds ; ils n’ont pu le faire qu’en vendant une partie de leurs terres qui ont été rachetées immédiatement par les cultivateurs, au double avantage de ceux-ci, qui de fermiers précaires devinrent propriétaires, et de ceux-là, qui restèrent désormais en possession de domaines francs de servitudes. En constatant que cette liquidation agraire s’est accomplie en Bretagne sans bruit et comme une conséquence naturelle du code qui nous régit, on est bien obligé de convenir que le gouvernement britannique a été maladroit dans ses rapports avec le peuple irlandais.