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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/331

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nombreux et puissant, soutenu par les évêques, manifestait l’intention de faire les élections sur la question religieuse seulement. On allait donc voir, sous d’autres noms et avec d’autres sujets de discorde, le renouvellement de la lutte d’influence qui avait éclaté, dix ans plus tôt, entre O’Connell et Smith O’Brien. À la tête du parti catholique se trouvait à cette époque un homme éminent dont la renommée n’a fait que grandir depuis vingt-cinq ans. Le docteur Cullen[1], nommé archevêque d’Armagh en 1850, avait été appelé à l’archevêché de Dublin au mois d’avril 1852 par un vote unanime du clergé que la cour de Rome sanctionna volontiers. Ayant passé la plus grande partie de son existence en Italie où le retenaient les fonctions de recteur du collège irlandais, il s’était développé dans une atmosphère différente de celle où vivaient ses compatriotes. Pour lui, les aspirations nationales étaient un synonyme de révolte contre l’autorité légitime ; la révolution signifiait violence et tumulte. La jeune Irlande lui rappelait trop la jeune Italie avec son cortège de conspirateurs, quoique la Nation, sous l’habile direction de M. Gavan Duffy, répudiât toute solidarité avec Mazzini. Austère au point d’être considéré comme un fanatique par les presbytériens, il ne poursuivait en réalité d’autre but que le triomphe des idées catholiques. Il y eut donc à son instigation un parti catholique distinct du parti national. Toutefois les ligueurs obtinrent un grand succès, une cinquantaine de sièges sur cent et quelques. Ils se sentaient donc assez forts pour former à la chambre des communes un groupe avec lequel whigs et tories devraient compter, puisque ce groupe pouvait devenir à un moment donné l’appoint d’une majorité. Les plus désintéressés avaient l’espoir qu’en restant unis entre eux ils obtiendraient une solution favorable des questions auxquelles le sort de l’Irlande était attaché. Ce beau projet ne put réussir. Quelques-uns ne s’étaient couverts de ce drapeau que pour arriver plus sûrement à leur but. Infidèles aux principes de la jeune Irlande qui répudiait les honneurs publics, deux ou trois des plus marquans acceptèrent de hauts emplois du ministère Aberdeen. C’était abandonner d’avance le projet de loi sur les droits des tenanciers, car les hommes d’état de la Grande-Bretagne n’étaient pas encore d’humeur à entreprendre cette réforme ; c’était s’engager même à ne pas réclamer l’abolition du bill sur les titres ecclésiastiques. L’archevêque de Dublin se

  1. M. A.-M. Sullivan, dont les convictions catholiques s’affirment presque à chaque page, ne paraît pas connaître le titre de courtoisie que nous donnons en France aux dignitaires de l’église. Ne convient-il pas de conserver ici, par respect de la couleur locale, ces qualifications de docteur ou de très révérend, qui ne messeyent pas du reste devant le nom d’un prélat ?