aimait à courber sous le joug les gens qui dépendaient de lui. Les premières querelles lui vinrent de son amour pour la chasse que les paysans, excités sans doute par les propriétaires du voisinage, prétendirent lui interdire sur certains territoires réservés. On lui reprochait aussi d’avoir, à l’exemple de ce qui se faisait en d’autres districts montagneux, essayé d’introduire des troupeaux de vaches écossaises. Les paysans avaient des porcs, des chèvres, des poules, ils cultivaient un peu et réservaient le reste pour le pâturage. Comme tout cela produisait peu, il y avait un bénéfice réel à nourrir des bandes de gros bétail, mais alors les cultivateurs du pays se voyaient supplantés par des bergers étrangers. Les vaches disparurent en assez grand nombre ; on crut qu’elles avaient été volées par les paysans à qui les magistrats firent payer de fortes amendes. Un peu plus tard, les chiens de M. Adair furent empoisonnés ; son régisseur fut assassiné ; l’incendie détruisit une maison qui lui appartenait. Ces symptômes étaient inquiétans pour le maître, bien que l’enquête judiciaire fût incapable, selon l’usage invariable, de démontrer quels étaient les vrais coupables. Là-dessus, M. Adair prit la résolution d’expulser tous les paysans de son domaine. La loi lui en donnait le droit ; les magistrats ne pouvaient lui refuser assistance pour cette terrible exécution, bien qu’ils eussent peine à croire que les torts fussent imputables à cette honnête population, restée paisible jusqu’alors. C’était une mesure d’une telle gravité que les troupes de police du district ne parurent pas suffisantes pour vaincre les résistances que l’on redoutait. Un détachement d’une trentaine de soldats sous les ordres d’un officier fut envoyé de Dublin tout exprès pour maintenir l’ordre. Ces préparatifs terminés, le représentant de M. Adair, escorté par un magistrat, notifia aux paysans la décision qui les expulsait, puis, sans plus attendre, il fit démolir les maisons par les hommes qui l’accompagnaient. Il y avait des vieillards, des enfans, des malades ; personne n’obtint grâce. Pendant trois journées entières, l’œuvre de démolition se continua. Ces pauvres gens se croyaient en règle avec leur seigneur, ayant payé régulièrement le fermage qu’ils devaient. À peine au milieu de leurs montagnes avaient-ils eu connaissance des évictions opérées les années précédentes dans les autres provinces. Au surplus, leur sort inspira la compassion qu’il méritait. Des souscriptions s’ouvrirent de toutes parts ; évêques catholiques, ministres presbytériens ou anglicans, tous signèrent en commun un appel à la générosité publique. Ce fut d’Australie que leur vinrent les secours les plus efficaces. Par les soins d’un comité d’Irlandais établi à Melbourne, les exilés du Donegal reçurent dans un autre hémisphère des maisons et des terres en remplacement de celles dont ils avaient été dépouillés.
Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/333
Apparence