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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/458

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REVUE DES DEUX MONDES

fonds, et les poutres des planchers étalaient sans façon le blanc de chaux dont elles étaient revêtues. Du jardin partaient deux allées plantées d’arbres où croissaient l’anémone et l’hyacinthe sauvage. Devant le presbytère s’étendait une terrasse, et derrière la maison on avait des prairies avec quelques bouquets de bois pour horizon. Tel fut le berceau du génie de Jane Austen. Quant à l’éducation qu’on lui donna, il est probable qu’elle ne différa pas sensiblement de celle que recevaient alors les jeunes filles et qui paraîtrait aujourd’hui bien insuffisante. De ce que la plupart de ses héroïnes ont pour la harpe et pour la danse une passion exagérée, il ne faudrait pas conclure que miss Austen ait excellé dans les arts d’agrément. Elle savait le français, grâce surtout à une cousine plus âgée qu’elle, qui, élevée à Paris, avait épousé un certain comte, lequel était mort sur l’échafaud pour avoir, disait-on, converti en pâturages des terres labourables avec l’intention de jouer un mauvais tour au gouvernement républicain. La jeune comtesse, une fois veuve, était revenue en Angleterre et avait vécu quelque temps chez son oncle où sa vivacité toute parisienne était fort appréciée. Elle prenait part aux divertissemens de la famille et tenait le premier rôle dans les pièces de théâtre que les fils de M. Austen s’amusaient à représenter, en été dans la grange, en hiver dans la salle à manger. Jane Austen avait alors quinze ans, et l’on peut supposer que, simple spectatrice, elle faisait dans son coin ample provision de souvenirs. Ceux qui ont lu Mansfield Park savent du moins avec quelle vérité elle a dépeint les rivalités d’une troupe d’amateurs et les déboires particuliers à ce genre de plaisir. Ce fut peut-être alors que le goût de la composition littéraire s’éveilla chez elle, bien que l’on ignore à quelle époque elle commença de remplir les cahiers, restés par bonheur inédits, où elle déposait les fruits de sa verve inexpérimentée. Elle n’avait pas encore atteint sa seizième année que ces essais, vers ou prose, formaient déjà un assez gros volume. Le fond en était puéril, mais la forme en était déjà très pure et très simple, ce qui est assez rare pour être noté, car ordinairement ce n’est point par la simplicité du style qu’on débute. Malgré cette précocité peu commune, Jane Austen ne se montra pas empressée de chercher un éditeur. Elle ne paraît avoir songé que beaucoup plus tard à publier ses romans. La gloire n’entrait pas dans ses rêves de jeune fille, et si elle écrivait, c’était sans doute pour obéir à une sorte d’instinct.

Autant qu’on en peut juger par ses lettres et par les souvenirs de ses contemporains, elle était plus portée à l’enjoûment qu’à la mélancolie, et rien ne prouve qu’elle ait eu la moindre ambition. Sa famille suffisait à son affection, et les ridicules de ses voisins à son