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diaboliques de la part des inexorables sacrificateurs des affaires publiques, qui forment un triumvirat d’illustres escrocs. Ces gens-là ont juré, je crois, de me faire aller de repos en travail hors de ce monde; mais Dieu m’a donné dans un corps faible un cœur, une âme droite, courageuse, capable de tout oser et de tout entreprendre pour la cause de la justice, de la vérité et le bien du service du roi. Je suis prêt à m’immoler pour faire connaître à Sa Majesté la vérité et l’injustice commise envers ses plus fidèles serviteurs. C’est le vrai règne des coquins : ils veulent tout avoir, tout envahir, tout engloutir... Mais le petit David renversa d’un seul coup de fronde le grand Goliath, et moi, d’un seul trait de vérité, je renverserai la colonne et la montagne de leurs mensonges... Quelque chose qui m’arrive, je ne quitterai pas l’Angleterre que le fruit que le roi attend de mon travail ne soit, suivant ses désirs, en parfaite maturité. De la façon dont le Guerchy veut s’y prendre avec moi, je crois qu’il pourra bien tomber les quatre fers en l’air, comme Sancho Pança, ou plutôt comme Paillasse, quand il veut danser sur la corde et qu’on tire l’échelle... Nous avons un bon maître, mais ses valets sont bien mauvais. »

Dans ces belles dispositions, David, sous la forme de d’Éon, ne tarda pas à jeter sa fronde par le milieu du visage de Goliath dans la personne de Praslin. Le duc lui ayant écrit avec le ton d’autorité qui appartenait à un ministre parlant à son inférieur : « Je ne m’attendais pas que le titre de ministre plénipotentiaire vous fît oublier si promptement le point dont vous êtes parti, » d’Éon prit la balle au bond et répliqua en ces termes : « Monsieur le duc, je suis parti fort jeune du point de Tonnerre, ma patrie;, où j’ai un petit bien, et une maison au moins six fois grande comme celle qu’occupait M. le duc de Nivernais à Londres. En 1756, je suis parti du point de l’hôtel d’Osembray, rue de Bourbon, faubourg Saint-Germain, étant l’ami de la maison. Je suis parti pour aller faire trois voyages en Russie et autres cours de l’Europe, pour aller à l’armée, pour venir en Angleterre, pour porter quatre ou cinq traités à Versailles, non comme un courrier, mais comme un homme qui y avait travaillé et contribué. Les points d’où je suis parti sont d’être gentilhomme, militaire et secrétaire d’ambassade, tout autant de points qui mènent à devenir ministre dans les cours étrangères. Le premier donne un titre à cette place, le second confirme les sentimens et donne la fermeté qu’elle exige, le troisième en est l’école. J’avais parcouru cette dernière à votre jugement même, monsieur le duc, de façon à mériter des récompenses. Qu’y a-t-il donc d’étonnant qu’un apprentissage long, dur, mais accompli avec éloge m’ait fait parvenir à la maîtrise? Mais, quel qu’ait été le point dont je suis parti, le roi mon maître m’ayant choisi pour le représenter, j’ai dû