Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moitié fou, moitié traître. Perdant du premier coup absolument la tête, le monarque prit le parti d’écrire lui-même à Guerchy, pour lui faire savoir que, parmi les papiers qu’on pourrait saisir chez d’Éon, on en trouverait sans doute qui se rapportaient à des relations avec la personne royale dont nul ne devait avoir connaissance. Il le priait de les garder cachetés jusqu’à son retour à Paris, afin de pouvoir les lui remettre à lui-même et en mains propres. Il fit ce beau coup sans consulter personne, et n’en donna avis que le lendemain à Tercier.

On peut juger de l’impression que le pauvre Tercier ressentit immédiatement et dont il fit part sans délai au comte de Broglie. Le secret mis par le roi entre les mains de l’ami personnel de Choiseul et de Praslin! Le roi, témoin de sa consternation, essaya vainement de le rassurer : « Je vois bien, écrivait-il le 11 novembre, que vous et le comte de Broglie êtes inquiets. Rassurez-vous, je suis plus froid... Si Guerchy manquait, au secret, ce serait à moi présentement qu’il manquerait, et il serait perdu. S’il est honnête homme, il ne le fera pas; s’il est un fripon, il faudrait le faire pendre... L’ayant mis si aisément dans mon secret, il le gardera... Mme de Guerchy n’est pas tout à fait dans le cas de son mari : j’espère qu’il ne le dira pas à sa femme... attendons ce qu’il aura fait et croyons qu’il m’aura obéi. »

Le comte de Broglie ne se payait pas de ces mauvaises raisons, et il écrivait de Ruffec le 16 novembre : « M. de Guerchy livrera très assurément le secret, il l’a déjà dit à sa femme... Il sera facile d’imaginer une circonstance qui, involontairement, aura tout divulgué... Quelques lettres sur cet objet auront été mêlées dans la correspondance de la cour, et dans la confusion où on supposera avoir trouvé les papiers, ceux-là, dira-t-on, n’auront pas été aperçus; enfin mille autres moyens. Pendant mon ambassade, j’aurais eu cent occasions où tout aurait été découvert, si j’eusse voulu, sans que Sa Majesté eût à me reprocher d’en être la cause, et si j’eusse été capable de m’occuper de mes intérêts aux dépens de mon devoir j’aurais eu beau jeu pour me faire un mérite de ce sacrifice... je serais devenu un favori ; au lieu de cela, le soin que j’ai pris pour faire réussir les ordres du roi contrariant les idées de la cour et les ministres, je suis devenu le but de la haine des gens puissans. Il ne faudra pas à M. de Guerchy beaucoup de combinaisons pour sentir les avantages qu’il trouvera à ne pas suivre mon exemple. »

Les craintes du comte de Broglie étaient bien naturelles, et l’amertume du retour sur lui-même, qu’elles lui suggéraient, bien légitime. Tout ce qu’il redoutait de ce côté ne se réalisa pourtant pas, au moins immédiatement. Nous ne trouvons aucun indice que