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« Dans la position où sont les choses, écrivait-il au comte, il faut absolument que l’arrangement que vous m’avez fait proposer soit fini incessamment et que vous arriviez au premier jour sans perdre de temps, au 20 de ce mois... Ceci est la dernière lettre que j’ai l’honneur de vous écrire au sujet de l’empoisonneur et du scélérat Guerchy, qui serait rompu vif en France, s’il y avait de la justice. Mais, grâce à Dieu, il ne sera que pendu en Angleterre, comme le fut le comte de Saa sous le règne de Cromwell... Toute la puissance intrigante de la France ne pourra prévaloir en faveur de Guerchy contre la puissance des lois anglaises, lorsque leur exécution sera confiée à des arbitres libres... Je vous donne ma parole d’honneur que sous peu le Guerchy sera arrêté au sortir de la cour et conduit dans la prison des criminels à la Cité de Londres. Son ami Praslin viendra l’en tirer, s’il le peut; vraisemblablement l’ami qui l’en tirera sera le bourreau. »

A Versailles, la rumeur était grande, et cette face inattendue, presque sauvage, des libertés britanniques embarrassait un peu les philosophes qui s’en étaient faits les preneurs. L’historien Hume, qui était en visite à Paris et à la mode dans les meilleurs cercles, était assailli, dans les salons où il entrait, de questions et de reproches auxquels il ne savait que répondre. « Nous nous sommes égosillés toute la soirée, M. de Beauvau et moi, écrivait le comte de Broglie au roi, pour lui faire sentir qu’outre l’espèce des accusateurs et le peu de vraisemblance de leurs dépositions, il était inimaginable qu’un ambassadeur pût être soumis à d’autre justice que celle de son maitre; il nous a toujours dit que les lois d’Angleterre étaient invariables à cet égard et que l’autorité de Sa Majesté britannique ne suffirait pas pour y rien changer. »

Le moyen se trouva cependant, car il n’est rien, on le sait, qu’on ne puisse trouver dans les arcanes et les détours des lois anglaises. Le cabinet britannique, qui ne pensait pas qu’une si ridicule affaire valut la peine de mettre en péril la paix du monde, inventa de faire appel du verdict du grand jury à la cour du banc du roi, en vertu d’un writ d’error ou d’acertiorari. C’est la formule employée pour dessaisir une cour de justice inférieure qui excède sa compétence, et la cour du banc du roi exerce alors une attribution assez analogue à celle qui est déférée à notre cour de cassation pour un règlement de juges. La cour fit défense à l’attorney général de poursuivre l’affaire par la voie que le grand jury avait ouverte (noli prosequi), et comme elle n’en indiqua aucune autre, l’affaire resta en suspens, et Guerchy se trouva par le fait hors de cause.

Mais cette intervention de l’autorité ministérielle en matière judiciaire, toute raisonnable qu’elle était dans l’espèce, ne fit qu’enflammer l’opinion publique. On accusa plus que jamais la faiblesse