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Quand d’Éon vit arriver ce vétéran de la correspondance secrète qui lui était bien connu, il comprit que son succès était complet et il ne jugea pas nécessaire de pousser le combat plus loin. Aussi, le 11 juillet 1766, une transaction intervenait entre le ministre de France et le secrétaire rebelle dans des formes qui revêtirent quelque chose de la solennité diplomatique. « En conséquence des ordres du roi, disait le procès-verbal dressé par M. Durand, dont je me suis muni, M. d’Éon, ci-devant ministre plénipotentiaire de France en cette cour, m’a ce jourd’hui remis en mains propres l’ordre particulier et secret du roi, écrit et signé de sa main, en date du 5 juin 1763, adressé au sieur d’Éon. Je certifie de plus que ledit ordre m’a été remis en bon état, couvert d’un double parchemin à l’adresse de Sa Majesté, et qu’il m’a été représenté renfermé et mastiqué dans une brique cousue à cet effet, prise dans les fondemens des murailles de la cave et remise ensuite à sa place. »

En échange du document ainsi remis, d’Éon en reçut immédiatement un autre, également de la main royale et ainsi conçu : « En récompense des services que le sieur d’Éon m’a rendus tant en Russie que dans mes armées, et d’autres commissions que je lui ai données, je veux bien lui assurer un traitement annuel de 12,000 livres, que je lui ferai payer exactement tous les trois mois en quelque pays qu’il soit, sauf en temps de guerre chez mes ennemis, et ce jusqu’à ce que je juge à propos de lui donner quelque poste dont les appointemens seraient plus considérables que le présent traitement. LOUIS. » Et au-dessous M. Durand ajoutait : « Je soussigné, ministre, plénipotentiaire du roi en cette cour, certifie sur mon honneur et serment que la promesse ci-dessus est véritablement écrite et signée de la main du roi, mon maître, et qu’il m’a donné l’ordre de la remettre à M. d’Éon. DURAND. »

Le roi était hors de cause, mais le comte de Broglie ne l’était pas; ses correspondances, ses papiers, le plan détaillé du projet d’invasion qu’il avait rédigé lui-même, d’Éon gardait tout cela; de tout cela le roi n’avait eu cure. Le comte cependant eût été bien aise de retirer, lui aussi, des mains qui le détenaient, le témoignage écrit de son imprudence compromettante. Il en fit à d’Éon l’insinuation dans une lettre pleine d’une douceur persuasive et en y joignant des conseils d’une bienveillance paternelle. « Vous observerez, lui écrivait-il, que la preuve qu’il a plu à Sa Majesté de vous donner elle-même et qui restera entre vos mains sera un titre à jamais glorieux pour vous. La lettre, que je vous trouve heureux d’avoir la permission d’écrire, doit être très courte, point mêlée d’aucun détail. Conduisez-vous ensuite avec modestie et sagesse, ramenez les esprits les plus prévenus, ne soyez plus ni ministre, ni capitaine de dragons; abandonnez le romanesque, prenez