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pour aller attaquer les flottes de Carthage. Il n’était pourtant pas possible qu’on se contentât toujours du vieux port d’Ancus Martius; outre qu’il dut devenir insuffisant quand le commerce de Rome s’accrut avec sa puissance, le Tibre ne tarda pas à en ensabler les abords. Le fleuve jaune, comme on l’appelait, entraîne avec lui de grandes quantités de limon : M. Lanciani a calculé qu’à son embouchure le rivage s’avance dans la mer de 3 mètres tous les ans. L’entrée du port devint donc tous les jours plus difficile, et vers la fin de la république les grands navires n’y pouvaient presque plus aborder.

C’était pourtant l’époque où Rome avait le plus besoin d’attirer à elle, pour sa subsistance, les navires du monde entier. Comment la campagne romaine, ce pays d’abord si riche et si bien cultivé, arriva-t-il si vite à ne pouvoir plus nourrir ses habitans? Pline l’ancien en accuse surtout l’extension de la grande propriété, latifundia perdidere Italiam. Dans ces vastes domaines, qui avaient absorbé l’héritage de tant de pauvres familles, les parcs, les jardins, les portiques et les promenades tenaient beaucoup de place : c’était autant d’enlevé à l’agriculture. Dans le reste, les maîtres étaient partout entraînés à remplacer le blé par les pâturages, qui sont d’un revenu plus sûr et d’un entretien plus commode. M. Mommsen ajoute que la concurrence étrangère découragea les agriculteurs romains, et que lorsqu’ils virent les marchands de la Sicile et de l’Egypte apporter en abondance et à bas prix le blé de leur pays, ils cessèrent de le cultiver chez eux. Dès lors Rome, la puissante Rome fut à la merci de ses voisins; elle ne subsista plus que des produits du dehors que la mer lui apportait à travers mille dangers, a Tous les jours, dit Tacite dans son énergique langage, la vie da peuple romain est le jouet des flots et des tempêtes. » En même temps, et comme pour rendre le mal sans remède, les chefs de la démocratie, arrivés enfin au pouvoir, payèrent au peuple leur bienvenue par une libéralité dont les conséquences devaient être fatales à la république. G. Gracchus fit décider que l’état se chargerait désormais de nourrir en partie les citoyens pauvres. On leur distribuait des bons de blé (tesserœ frumentariœ) qui leur permettaient de l’avoir à moitié prix. Comme il est naturel qu’on ne s’arrête pas aux demi-mesures, quelque temps après les Gracques, un autre démagogue imagina de le donner pour rien. Moins on payait, plus augmentait le nombre de ceux qui voulaient jouir de cette faveur : on en comptait 320, 000 quand César s’empara de l’autorité. Tout populaire qu’il voulait être, il trouva qu’il y en avait beaucoup trop, et réduisit le chiffre à 150, 000 ; ce qui est déjà bien honnête. On dit qu’Auguste voulut aller plus loin, et qu’il eut un moment