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combinaisons élaborées dans le cabinet militaire du roi seraient déjouées sur les champs de bataille par l’imprévu de nos mouvemens et par l’esprit débrouillard du soldat français.

Il était permis assurément au colonel de Loë, en présence d’affirmations si péremptoires et si universelles, de n’entrevoir qu’une partie de la réalité. Comment supposer que la France, initiée de longue date aux projets de la Prusse, se laisserait surprendre sans avoir 300,000 hommes sous la main pour imposer sa médiation et sauvegarder ses intérêts ? Mais bientôt, dès le 5 juillet, l’attaché militaire prussien devait connaître la vérité tout entière. Notre impuissance lui fut révélée par des confidences plus inconsidérées que préméditées. Il put suivre heure par heure les péripéties du drame qui se déroulait à Saint-Cloud et il entendit les officiers, la veille encore les plus confians, incriminer avec le plus de violence l’impéritie du ministre de la guerre.

M. de Bismarck savait dès lors à quoi s’en tenir sur notre force offensive, et il n’était plus douteux pour lui que le jour où les préliminaires de paix seraient signés avec l’Autriche et les états du midi, nos moyens d’action seraient insuffisans pour appuyer nos revendications. Le gouvernement français, du reste, comme s’il était dit que dans ces momens de trouble et de confusion il subordonnerait ses intérêts les plus chers aux intérêts d’autrui, allait consacrer tous ses efforts, et, croyait-il, toute son habileté à se rendre impuissant en hâtant la conclusion d’un armistice.

Au lendemain de Sadowa, M. Drouyn de Lhuys n’en représentait pas moins dans les conseils de l’empereur les résolutions viriles dictées par les circonstances, et il ne faisait qu’interpréter le sentiment de la diplomatie française et de l’opinion publique lorsque, surpris par les événemens et effrayé des conséquences qu’ils auraient pour la France, il recommandait à son souverain une démonstration militaire et la médiation armée[1].

Le langage qu’il tenait au comte de Goltz était conforme à ces résolutions, il ne pouvait laisser à la Prusse que peu d’illusions sur nos intentions. La France s’opposerait aux annexions projetées par le cabinet de Berlin, si les garanties que sa sécurité réclamait sur le Rhin lui étaient refusées. Malheureusement, dans une épreuve aussi décisive pour sa politique, il ne suffisait pas d’être bien inspiré, il aurait fallu prévoir et neutraliser les influences occultes, engager

  1. M. de Chaudordy disait à M. Hansen : « M. Drouyn de Lhuys est en désaccord avec l’empereur sur la politique allemande ; le dissentiment, déjà ancien, s’accentue de plus en plus. Le ministre a été depuis le commencement opposé aux encouragemens donnés à l’alliance de l’Italie avec la Prusse. Il prévoyait que cette alliance serait funeste à l’Autriche en Allemagne, qu’il considérait comme nécessaire au maintien de l’équilibre. Mais ses conseils n’ayant pas prévalu, il a tout fait pour atténuer les effets, si préjudiciables à la France, des victoires imprévues de la Prusse. »