elle sera remise en possession; déjà il déclare le monde son débiteur et son héritier. Pour mener à bonne fin cette grande entreprise, il a, dit-il, proposé d’ériger dans le royaume un Institut de Salomon d’après le modèle de la Nouvelle Atlantide. Ce sont les savans pères de cet Institut qui présideront à ce grand travail « pour la plus grande gloire de Dieu, pour la magnificence du prince et pour la propagation de sa mémoire dans les siècles à venir. »
Nous n’avons pas assurément la pensée de transporter, de l’île fantastique de Ben-Salem à Paris, l’Institut de Salomon ou le collège de l’œuvre des six jours, de toutes pièces et sans rien en retrancher. Il est facile sans doute de faire, comme Abraham Cowley, la critique de ce plan grandiose et de la bizarrerie de quelques détails. A le prendre dans son entier, on peut presque dire avec Cowley : « C’est un projet pour les expériences qui ne pourra jamais être expérimenté. » Mais, à travers les exagérations, les bizarreries, les élans pour ainsi dire de cet esprit enthousiaste des progrès de la science, il y a une grande idée qui mérite, à ce qu’il nous semble, d’être précieusement recueillie, il y a un idéal dont nous devons chercher à nous rapprocher dans l’intérêt de l’avancement et du perfectionnement des connaissances humaines. Cet idéal est celui d’un établissement scientifique comme il en pourrait exister et comme il n’y en a pas encore dans le monde, pourvu de tous les moyens d’observation et d’expérimentation, et qui ne fût pas sans cesse arrêté dans ses recherches, dans la vérification même, quand elle est possible, des hypothèses les plus importantes, faute d’un local faute d’instrumens ou de machines, faute de quelques milliers de francs. « Le roman d’un sage, le rêve d’un savant, » voilà comment Sprat, l’historien de la Société de Londres, voilà aussi comment Fontenelle appelle la Nouvelle Atlantide.
Nous comprenons l’enthousiasme du grand historien Macaulay pour la conception de Bacon. « Il aimait, dit-il, à se représenter le monde tel qu’il serait quand sa philosophie aurait, suivant sa noble expression, agrandi l’empire de l’esprit humain. Je pourrais citer beaucoup d’autres exemples, mais je me borne au plus frappant de tous, à la description de la Maison de Salomon dans la Nouvelle Atlantide... On ne saurait trouver dans aucune composition humaine un passage plus éminemment empreint d’une sagesse profonde et sereine. La hardiesse et l’originalité de la fiction sont bien moins merveilleuses que le discernement délicat avec lequel Bacon a soigneusement exclu de cette longue liste de prodiges tout ce qu’on peut déclarer impossible, tout ce qu’on peut prouver inaccessible à la puissante magie de l’induction et du temps. » Quelques portions de cette glorieuse prophétie, ajoute Macaulay, se sont accomplies