Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/700

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que les espèces se touchent, se fondent pour ainsi dire, l’une dans l’autre. » Cette méthode de classification proposée par Mercier mérite d’être remarquée; c’est le rêve d’une démonstration par les yeux du darwinisme bien avant Darwin et même avant Lamarck. Comme dans la Nouvelle Atlantide, il y a des ermites qui habitent, pour herboriser, dans le fond des forêts ou, sur le sommet des montagnes, pour observer les météores et les astres. On a formé des cataractes ou torrens artificiels pour produire les effets les plus puissans. Enfin il y a aussi de vastes ménageries pour toute sorte d’animaux, des cabinets d’optique, d’acoustique, de mathématiques avec la plus grande variété d’instrumens et de machines. Tout cela est pris à Bacon, quoique Mercier ne le nomme pas. Ce qui lui appartient en propre, c’est cette idée de la classification des êtres, dans ce merveilleux musée, d’après la loi de continuité ; ce qui lui appartient encore, mais qui est beaucoup moins sérieux, c’est la transformation du Montmartre en un autre Parnasse, et, ce qui est plus admirable, la transformation des carrières de plâtre en lits de pierre enfantés par la terre, enfantement des plus désirables sans doute, pour la construction d’édifices, quels qu’ils soient, religieux ou académiques, destinés à prendre la place des moulins à vent sur la colline parisienne.

Terminons en citant Condorcet, qui tient le premier rang en France parmi les partisans et les admirateurs des grandes vues académiques de Bacon, de même que Macaulay en Angleterre. Voici le fidèle et brillant résumé qu’il a donné de la Nouvelle Atlantide dans un fragment à la suite de son Esquisse des progrès de l’esprit humain : « Le plan de Bacon embrasse toutes les parties des connaissances humaines ; une foule d’observateurs parcourent sans cesse le globe pour connaître les animaux qui l’habitent, les végétaux qu’il nourrit, les substances répandues sur sa surface et les substances qu’il enferme dans son sein, pour en étudier la forme extérieure et l’organisation. Ils cherchent à reconnaître les monumens et les preuves des anciens bouleversemens de la terre, à saisir les traces de ces révolutions paisibles dont la main lente du temps conduit la marche insensible ; d’autres hommes, fixés dans les diverses régions, y suivent avec une exactitude journalière les phénomènes du ciel et ceux de l’atmosphère terrestre. De vastes édifices sont consacrés à ces expériences qui, forçant la nature à nous montrer ce que le cours de ses opérations ordinaires cacherait à nos regards, lui arrache le secret de ses lois On ne se borne point aux essais dont quelques heures et quelques mois peuvent constater la réussite ; on sait employer ce moyen si puissant que la nature semblait s’être réservé à elle seule, le temps; et des résultats qui ne doivent éclore que pour des générations éloignées se préparent