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d’Azof et de Ka à qui entre autres choses confisquaient l’avoir de tout marchand russe décédé dans ces villes. « Les magistrats turcs ne connaissent pour toutes les propriétés russes d’autres héritiers qu’eux-mêmes. Tant d’injustice m’a forcé de défendre à mes marchands d’exercer le négoce dans votre pays. D’où proviennent donc ces actes de violence, puisque autrefois ces marchands ne payaient que la taxe légale, et qu’il leur était permis de commercer librement? Le savez-vous, ou non?.. » C’est à la suite de la négociation ainsi entamée qu’Ivan finit par envoyer à Constantinople une mission (1499) à la tête de laquelle se trouvait Michel Plestchéïef. La stupéfaction fut grande sur le Bosphore lorsque Plestchéïef y refusa d’accepter les habits magnifiques, les dix mille aspres et le banquet offert par les pachas : « Je n’ai rien à dire aux pachas; je ne porterai pas leurs habits; je n’ai aucun besoin de leur argent et ne veux parler qu’au Grand Seigneur. » À ce Grand Seigneur lui-même il prétendit parler debout et non pas à genoux; il en appela à ses instructions, il ne voulut pas s’en départir, et il eut gain de cause.

Elle a sa grandeur, on en conviendra, cette première ambassade moscovite sur le Bosphore, cette entrée de la diplomatie russe dans le monde de l’Orient : dans le langage de Michel Plestchéïef, on reconnaît déjà l’accent de Boulhakof et du prince Menchikof... Ivan III n’était pourtant alors que le plus obscur et le moins influent de tous les princes de la chrétienté; il venait à peine de secouer le joug infamant des Mongols qui pendant des siècles avait pesé sur son pays; son domaine ne touchait ni à la Baltique, ni à la Mer-Noire, et à l’ouest ne s’étendait pas bien au-delà de l’Ougra : plus de cent ans après encore, Henri IV ne devait parler du tsar que comme d’un knès scythien régnant sur des a nations sauvages, barbares et farouches[1]. » Non moins étonnantes assurément que ces prétentions moscovites devaient paraître les étranges condescendances de l’Osmanli à leur égard, car les grands-ducs maintinrent au XVIe siècle la ligne que leur avait tracée Ivan III : ils ne se souciaient pas d’avoir à Constantinople des représentans permanens comme Venise, la France, l’Angleterre ou le saint empire romain[2], ils se bornaient à de rares missions commandées par les circonstances, mais pour ces missions ils exigeaient toujours la réciprocité la plus absolue. C’est ainsi que l’officier Alexéïef fut envoyé en 1514 pour complimenter à son avènement au trône le terrible Sélim Ier et lui porter des assurances d’amitié ; mais il fut bien recommandé au

  1. Sully, Mémoires (édit. Petitot), VIII, 270 seq.
  2. Ce n’est que sous Pierre le Grand que la Russie demanda et obtint d’avoir une représentation fixe à Constantinople.