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« Voilà vingt ans que les Taïra nous comblent de leurs bienfaits et maintenant, parce que nous sommes en présence du danger, nous vous quitterions? Jamais nous ne commettrons un acte aussi déshonorant. — L’amour des pères pour leurs enfans se rencontre chez les nobles comme chez les roturiers, repartit Munemori; si les pères sont en Occident et les fils en Orient, ils se détruiront mutuellement, et je ne saurais le permettre; il faut donc que vous passiez promptement dans le camp de Yoritomo. » Ces deux hommes l’écoutaient en pleurant, et ce ne fut pas sans beaucoup d’hésitation qu’ils partirent pour l’Orient.


On voit par cette citation le tour oratoire et à demi poétique qu’affecte l’histoire chez l’un des écrivains les plus estimés du Japon.

A côté des traités d’histoire se placent les monographies<ref> Comme le Nipon hyaku seuden, souvenirs de cent généraux du Japon, traduit par M. Carlo Valenziani, l’éminent philologue italien, dans le Ban-sai-zau, f. 15-16. </ef>, des mémoires, des relations partielles dont quelques-unes portent les titres de : Midzu Kagami, Ima Kagami, le miroir, ou le miroir du présent, par une métaphore semblable à celle qui a fait appeler Miroir de Souabe, Miroir de Saxe, les recueils de coutumes et traditions relatifs à ces pays. Puis viennent les compilations législatives, parmi lesquelles les livres relatifs au cérémonial tiennent une place prépondérante. Le Reigi Ruiten ou code de l’étiquette, en cinq cent dix volumes, est consacré aux usages de la cour des mikados. Deux cent quatorze volumes s’appliquent aux actions ordinaires de la vie, le reste aux kagura, anciennes pantomimes célébrées en l’honneur des parens célestes du souverain, aux prières en faveur de la pluie ou du beau temps, à l’exaltation et à l’abdication de l’empereur, aux fêtes des moissons, aux voyages de la cour, aux naissances, mariages et décès dans la famille impériale etc. Enfin de nombreuses biographies d’hommes illustres viennent compléter l’énorme amas de documens qu’aucun érudit, ni indigène, ni européen, ne pourra jamais parcourir que superficiellement; les modifications du langage ont rendu très difficile la lecture des plus anciens; les redites, la stérilité monotone de tous, rebutent à la longue les lettrés les plus persévérans.

A part quelques maximes, empruntées pour la plupart aux Chinois, éparses çà et là, il est rare de rencontrer, dans ces œuvres raisonnées, une idée générale, une pensée originale et profonde, comme on en trouve à chaque pas chez les maîtres puissans qui ont donné à notre esprit latin sa forme classique. Rien qui éclate comme une fanfare, rien qui s’allume tout à coup pour éclairer toute une page; l’écrivain s’attelle à son sujet et le traîne péniblement au ras de terre au lieu de le dominer. Aussi bien n’est-ce pas dans