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romanesques? C’est qu’on sent dans l’auteur un bon élève qui compose une narration d’après les préceptes reçus, un lettré qui fait de l’esprit, non un inspiré qui formule les sensations intimes de son âme ou les visions de son cerveau. Sous la culture d’emprunt, on cherche vainement les penchans nobles, les accens élevés, les cris sublimes. Tout est compassé, médiocre, sec et en somme de petit aloi.

Une pensée enfantine, peuplée de songes frivoles, de notions superficielles et confuses, des vues imparfaites et mesquines, voilà en résumé ce qui au premier abord paraît sortir de l’œuvre que nous venons d’examiner. Mais à ces défauts correspondent naturellement des qualités que nous devrons observer au même degré; seulement ces qualités, la vivacité et le piquant des détails, la bonne humeur, le réalisme amusant, se déploient moins à l’aise dans les poèmes et romans d’allures solennelles ou sentimentales que dans les productions d’un genre plus modeste, comme le conte populaire, dont nous allons nous occuper.

Le conte populaire est, dans sa naïveté mêlée de malice, l’expression la plus exacte des visions qui hantent un cerveau japonais. Moins apprêté que le roman, sous la forme orale ou écrite où nous le recueillons, il nous initie aux habitudes d’esprit du vulgaire, comme un choix de légendes de chaumières, au XIIe siècle, nous familiariserait avec le bon peuple du moyen âge. Autant la haute littérature est pauvre en œuvres dignes d’être citées, autant est féconde cette mine où le lecteur nous saura gré de ne puiser qu’avec modération. Volontiers on se croirait, en entendant ces récits, transporté au chevet d’une nourrice douée d’imagination, inventant à mesure qu’elle parle, pour un auditoire peu exigeant; et volontiers on insisterait, comme fait d’habitude l’auditoire en pareil cas, pour entendre encore une histoire. Rappelons d’abord l’anecdote de l’enfant ingénieux, représentée sur nombre de peintures et de broderies. Cet enfant jouait avec ses camarades autour d’une grande jarre de grès plus haute qu’eux tous et pleine d’eau. L’un d’eux, grimpé sur le bord, se laissa choir dans le vase, où il disparut submergé. Comment le tirer de là? Notre bambin saisit une pierre, fait un grand trou dans le ventre fragile de la jarre; l’eau s’échappe avec violence entraînant par ce nouvel orifice le petit maladroit qui allait se noyer. C’est le même enfant prodige qui se signala plus tard par un trait d’esprit non moins remarquable. Il s’agissait de peser un éléphant, et l’on ne savait où prendre des engins assez puissans. Il fit monter l’animal sur un radeau, et marqua de combien le plancher s’enfonçait dans l’eau; puis, ayant fait descendre l’éléphant, il entassa à sa place des pierres d’un poids connu, jusqu’à ce qu’il eût obtenu le même niveau.