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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/776

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avec sa bande, les dépouille de leurs vêtemens et se présente au palais où le délégué était attendu, sous son nom et en sa qualité. Là, comblé d’honneurs et de prévenances, il se laisse traiter en grand seigneur, découvre la supercherie du faux héritier, le fait mettre en croix et rend la succession au fils légitime du défunt. C’est seulement bien des années après que la cour apprend par quel étrange personnage elle a été représentée. Mais n’imitons pas les badauds réunis autour du conteur, et ne nous laissons pas comme eux retenir jusqu’à l’heure tardive où arrive enfin le récit du supplice du célèbre bandit; d’autres tableaux nous réclament.


IV.

La littérature d’un peuple n’est pas tout entière dans ses livres. Aux heures où le génie national est encore dans sa gangue, et n’a ni trouvé sa forme, ni forgé son instrument, il se révèle presque aussi clairement, parfois plus sincèrement, dans les légendes orales, les contes du foyer, les récits de chaumière, que dans les œuvres apprêtées et réfléchies. Il ne sera donc pas sans intérêt de fouiller dans cet inépuisable répertoire de fables et de traditions que recèle la mémoire d’une famille japonaise, et d’écouter derrière le léger paravent de papier, tandis qu’on se chuchote à l’oreille les anecdotes merveilleuses ou terribles. La plupart se placent sous les premiers mikados, dans cette période préhistorique dont il ne reste, à défaut d’annales, que des vestiges épars et plus qu’à demi fabuleux.

Voici d’abord la légende d’Urashima, dont les doubles liens de parenté avec notre mythe européen de Pandore et avec la fable de l’Ondine ne peuvent manquer de frapper tous les yeux. C’était un pêcheur célèbre par son habileté. Un jour il prit dans son filet une tortue de mer qu’il s’empressa de rapporter dans sa cabane. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant sortir de la carapace une femme resplendissante de beauté ! Elle l’enivre de ses caresses, l’enlace et l’emmène avec elle dans son pays, appelé Horai (nom poétique d’une des îles Liu-Kiu). Après avoir goûté avec sa compagne, pendant une longue période de temps, un bonheur sans nuage, il fut pris du mal du pays, et souhaita de revoir le toit paternel. Elle lui donna, comme présent d’adieu, une cassette précieuse, qui devait lui assurer une vigueur et une jeunesse éternelles tant qu’il s’abstiendrait de l’ouvrir. Quand il regagna sa vallée, tout avait changé d’aspect; ses anciens amis avaient disparu; les lieux témoins de sa jeunesse n’étaient plus qu’une solitude : il trouva la vie à charge et, se flattant que la cassette contenait quelque talisman pour faire