tout de la sagacité et l’esprit organisateur. Le hasard l’avait amené près de O’Brien lors de l’attaque contre la ferme de Ballingary. Un coup de feu l’atteignit dans la cuisse. Prudemment il se laissa choir au fond d’un fossé et s’y tint immobile, en sorte que les troupes de police, restées maîtresses du champ de bataille, le crurent mort. La nuit venue, il fut secouru par des paysans qui lui procurèrent un déguisement. Après avoir erré quelques jours dans les montagnes, il rencontra l’un de ses complices, Michael Doheny, un vrai poète, enthousiaste, éloquent, qui rêvait de continuer la lutte contre les Anglais malgré la capture des principaux chefs, s’imaginant encore que les paysans se soulèveraient en masse après la récolte. Tous deux parcoururent le sud de l’Irlande pendant les mois de juillet, août et septembre, bien accueillis parfois, plus souvent reçus de mauvaise grâce par des gens qui leur fermaient la porte par crainte de se compromettre. Il n’est point difficile de se cacher dans ce pays de landes, de forêts et de montagnes ; toutefois on doit croire que la police ne les recherchait guère. Autour du lac de Killarney, le pays leur parut beau ; ils s’y attardèrent comme de vrais touristes avides de bien employer le temps des vacances. Cette nonchalance n’était pas malhabile, d’autant qu’un journal ami avait pris soin d’annoncer leur mort. Enfin, vers la fin de septembre, ils arrivèrent sur le littoral sans attirer l’attention. Stephens, dont la taille était petite et la mine délicate, réussit à s’embarquer déguisé en femme de chambre. Doheny partit quelques jours plus tard sous la blouse d’un toucheur de bœufs. Tous deux traversèrent Londres sans accident. Ils se rendaient à Paris, où John O’Mahony les rejoignit peu après. On ne sait trop ce qu’ils y firent. Stephens, qui était quelque peu polyglotte, se mit à traduire les romans de Dickens, dit-on. O’Mahony, versé dans la littérature nationale, donnait des leçons de gaélique aux élèves du collège irlandais. Le moins contestable est qu’ils s’affilièrent aux sociétés secrètes que Paris renfermait à cette époque et qu’ils y apprirent comment il fallait s’y prendre dans le cas d’une nouvelle insurrection. Stephens, le plus clairvoyant des trois, avait un double but en fréquentant les conspirateurs du continent : s’assurer des alliances pour la révolution future dont il rêvait déjà d’être le chef, et s’initier aux moyens d’exécution qu’avaient su mettre en œuvre les vieux révolutionnaires européens. Aucun scrupule, nul préjugé, ne le retenaient d’ailleurs. L’appui d’un despote lui semblait valoir l’appui d’un républicain. Il crut d’abord, paraît-il, trouver des complices à la cour impériale ; il se trompait. Napoléon III, qui recherchait l’amitié de l’Angleterre, sans le décourager tout à fait, se serait gardé de se compromettre avec les Irlandais. Survint la guerre d’Orient. La police russe eut l’adresse
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