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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/79

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Si donc la philosophie romaine n’est pas inventive comme celle des Grecs, elle est plus accessible, plus praticable, et elle a pu, par conséquent, devenir universelle. Grâce à l’étendue et à la force de leur empire, les Romains ont porté cette utile sagesse dans tout le monde civilisé; ils l’ont imposée par leurs armes, par leurs lois, par leur administration, par leur langue, ils en ont fait comme la raison du genre humain. Aujourd’hui encore nous en vivons. Leurs maximes, plus que les théories grecques, remplissent nos livres, entrent dans notre éducation, retentissent dans nos écoles et même dans nos temples, circulent dans nos entretiens et font partie de nous-mêmes. N’est-ce point assez pour nous intéresser à cette sagesse romaine et à son histoire? Nous voudrions ici en détacher un épisode, un des plus importans, le premier par la date. C’est à une sorte de hasard que cette philosophie dut la naissance ; son énergie native aurait pu sommeiller longtemps encore, si elle n’avait été tout à coup éveillée, dans une circonstance mémorable, par un étranger, par un Grec, par Carnéade : grand événement philosophique qui a été souvent raconté, mais trop brièvement, souvent jugé, mais à la légère, et qui nous paraît mériter plus de détails et plus d’équité.


I.

Carnéade était le chef de la nouvelle académie, école dégénérée de Platon, laquelle, exagérant le doute socratique, avait abouti au scepticisme. Nous n’avons pas, dans le sujet particulier qui nous occupe, à retracer la méthode de cette école, ni les procédés de sa dialectique entre toutes subtile. Puisqu’il ne s’agit ici que de l’effet produit par Carnéade sur les ignorans Romains, nous devons toucher seulement à ce que les Romains pouvaient comprendre de sa philosophie et tout ramener à une certaine simplicité populaire. Aussi bien tout système, si savant qu’il soit, peut toujours se réduire à un petit nombre de propositions tout d’abord compréhensibles qui en montrent le but et la portée. Si on veut, par exemple, donner une idée du stoïcisme, il suffira de dire que sa morale repose sur la vertu, sans démonter pièce à pièce tout l’édifice logique de Zénon; de même, quand on a dit que l’épicurisme a pour principe le plaisir, on peut se dispenser de donner les fines raisons dont Épicure étayait sa doctrine. Il en est ainsi de la nouvelle académie dont quelques mots feront connaître, en général, le caractère, les intentions et la raison d’être. Le scepticisme de Carnéade n’était pas absolu et n’allait pas jusqu’à prétendre, comme celui de Pyrrhon, qu’il n’y a pas de vérité, mais la vérité,