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des révolutions…. Recherchez le concours des militaires de tous grades, surtout des sous-officiers, qui sont l’élite de l’armée… Ne perdez pas votre temps à séduire les prêtres : leur seule préoccupation est le bien de l’église. Que la révolution réussisse, ils seront avec elle. » L’organisation du fenianisme ne fut pas au reste une copie servile des modèles fournis par les conspirateurs d’autres pays. Dans un état régi par un pouvoir despotique, il suffit à des conjurés de frapper leur adversaire à la tête. S’emparer de la capitale est l’essentiel, parce qu’on est maître alors de tout. Il n’en était pas de même en Irlande, car Dublin n’y est pas le siège du gouvernement. C’était dans les campagnes aussi bien que dans les villes qu’il fallait recruter des prosélytes. Chaque village devait avoir son groupe de partisans, en sorte que les quatre provinces fussent prêtes à se soulever au premier signal. Stephens, qui connaissait son monde, voulut avoir de nombreux émissaires. Certaines classes de la société, les instituteurs, les médecins, les voyageurs de commerce lui semblèrent surtout des auxiliaires fort utiles. Ces derniers, qui parcouraient l’île en tous sens, pouvaient faire de la propagande ou porter des ordres sans attirer l’attention. Les médecins, populaires à juste titre, avaient la réputation d’être remuans, exaltés, surtout lorsqu’ils étaient jeunes. Les maîtres d’école, plus instruits que le vulgaire, souvent mécontens de leur sort, étaient en position de propager les idées révolutionnaires ; il leur était plus facile qu’à n’importe qui de tenir les écritures et de faire la correspondance de l’association. Pour le reste, le fenianisme ressemblait beaucoup à ce que l’on sait des autres sociétés secrètes. Stephens s’en réservait la direction suprême avec le titre de grand organisateur (chief organiser) ; toutes les affaires, tous les pouvoirs relevaient d’un conseil central composé, sous sa présidence, de quatre vice-présidens, un pour chaque province. Au-dessous de ce comité, les affiliés ne se connaissaient plus entre eux. Dans chaque district, un colonel, puis des capitaines, des sergens, de simples soldats, ne se réunissaient que par petits groupes, et dans le seul dessein de s’exercer au maniement des armes, ce que la loi n’interdit pas. Cette hiérarchie avait ainsi l’apparence militaire, comme il convenait à des hommes qui s’organisaient en vue d’une insurrection. Il était recommandé surtout d’enrôler des militaires, et l’on y réussit. Très peu d’officiers s’y laissèrent prendre ; mais on eut, paraît-il, l’adhésion d’un grand nombre de sous-officiers. En général on poussait les affiliés à la désertion, cette plaie de l’armée anglaise, afin qu’ils pussent se rengager en d’autres régimens et y répandre les idées de révolte dont ils étaient imbus.