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disant que les hommes libres n’ont pas de sympathies pour les nations opprimées qui se contentent de gémir. Les Italiens ne se contentaient pas de vouloir être libres ; ils avaient en outre la ferme résolution de conquérir leur liberté les armes à la main. Le langage des hommes d’état anglais n’était-il pas un blâme pour le parti modéré en Irlande, un encouragement pour les conspirateurs fenians ? Stephens et ses complices ne pouvaient désirer mieux. Tenus en échec par l’influence du clergé, qui réprouvait leurs doctrines, ils avaient du moins la satisfaction de se dire que la presse anglaise leur était favorable. La guerre de sécession arriva. Un grand nombre d’Irlandais s’enrôlèrent dans les armées américaines, les uns pour et les autres contre l’Union. Peu leur importait le drapeau ; l’essentiel pour eux était de saisir cette occasion de s’exercer au métier des armes. Puis un conflit que l’on connaît surgit entre les États-Unis du Nord et la Grande-Bretagne. On put croire que la guerre s’ensuivrait, et les plus ardens eurent l’adresse de faire courir le bruit que M. Seward avait promis d’appuyer les revendications de l’Irlande aussitôt que l’Union serait triomphante. Les conjurés jugèrent qu’il était temps de faire voir ce qu’ils étaient, quelle était leur puissance. La manifestation ne pouvait être que pacifique pour le moment. Il s’agissait, comme on dit, de se compter. Le prétexte s’offrit bientôt : ce furent les funérailles d’un vieux patriote.

Térence Bellew Mac Manus était l’un de ces chefs de 1848 que les fenians poursuivaient de leur mépris et de leurs sarcasmes. Déporté à la terre de Van-Diemen, il s’en était échappé pour venir habiter San-Francisco où il vivait depuis dix ans, estimé de tous ceux qui le connaissaient ; il y mourut dans les premiers mois de 1861. À peine eut-il été question de ramener sur le sol natal les restes de ce vaillant citoyen à qui le séjour de l’Irlande était interdit de son vivant que chacun accueillit ce projet avec enthousiasme. Pour les Celtes émigrés en Amérique, c’était un témoignage de dévotion envers la mère patrie ; pour ceux qui étaient restés en Europe, une protestation contre des maîtres exécrés. Quiconque appartenait au grand parti national ne pouvait se dispenser de prendre part à cette fête funéraire. Les préparatifs étaient déjà commencés lorsque le bruit courut que les fenians étaient au fond de l’affaire. Ceci était un grand embarras pour les nationaux modérés. Smith O’Brien écrivit une lettre rendue publique dans laquelle il rappelait que Mac Manus avait toujours été l’ennemi des révolutionnaires de profession ; John Mitchell essaya de soutenir que la terre natale ne serait pas digne de recevoir le corps d’un martyr de la liberté tant qu’elle resterait en esclavage. Vains efforts ; l’élan était si bien donné que personne ne voulut écouter les conseils de la prudence. Au surplus