Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/808

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’être enterrés en terre sainte ! Autant le jury de Manchester avait été sévère contre d’insensés perturbateurs qu’il avait considérés comme de vulgaires assassins, autant la population irlandaise était indulgente pour ces malheureux, en qui elle s’obstinait à ne voir que des condamnés politiques. Smith O’Brien et ses amis partagèrent l’indignation publique. La mise à mort de ces trois victimes était, à les entendre, un meurtre judiciaire. On les appelait des héros ; on portait leur deuil. Encore si l’on s’était contenté de le dire ou de l’écrire, le gouvernement eût peut-être feint de ne pas s’en apercevoir ; mais non, on voulut leur faire en effigie des funérailles splendides. John Martin, The O’Donoghue, se mirent à la tête de ces manifestations séditieuses. À Dublin, 60,000 personnes, portant des bannières et accompagnées de tambours voilés, marchèrent en procession derrière les cercueils vides. Le vice-roi ne s’était pas opposé à ces manifestations ; quatre jours plus tard, il s’aperçut qu’elles étaient illégales. Les principaux meneurs furent poursuivis en justice, quelques-uns condamnés. À distance, nous avons peine à comprendre que les nationaux se fussent compromis dans cette aventure. Était-ce du parti fenian ou de leur propre parti qu’ils avaient mené le deuil ? Ce ne fut cependant ni de l’un ni de l’autre. Ils avaient simplement montré que, sur une question d’intérêt patriotique, tous les partis étaient solidaires. On le vit un peu plus tard lorsque, les passions s’étant calmées, le débat s’ouvrit sur un sujet plus calme.

En dehors de ces querelles de la rue, de plus sérieuses préoccupations s’imposaient aux patriotes qui voulaient des réformes sincères. Pour la majorité catholique, par exemple, l’essentiel était d’effacer les privilèges maintenus au profit des protestans. Ils avaient obtenu l’admission aux emplois publics, l’autorisation d’ouvrir des écoles ; mais ils étaient encore assujettis à la formalité humiliante du serment par lequel, qu’ils fussent aldermen ou députés, ils s’engageaient à ne rien entreprendre contre l’église établie ; ils avaient toujours sous les yeux le spectacle de ce clergé, hostile à leurs croyances, enrichi jadis par les dépouilles de l’église catholique. Que l’on ne s’y trompe point cependant ; l’antagonisme des deux religions n’était passé nulle part à l’état aigu. Même les ministres anglicans se faisaient en général aimer de la population tout entière, car ils étaient charitables, doux, concilians, pour la plupart. Malgré tout, cet antagonisme existait, aggravé quelquefois par de malencontreux essais de prosélytisme. Or, comme les dévots de l’église établie se classaient presque toujours dans les rangs du parti tory, il en était résulté cette conséquence assez singulière que les catholiques, ecclésiastiques compris, se rangeaient le plus souvent