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comme une nécessité d’ordre et d’équilibre européen, le besoin qu’avait la Prusse de se donner une configuration plus homogène? La Prusse n’en demandait pas davantage; son ambition se bornait à s’annexer un peu plus de 300,000 habitans, dont la Saxe, le Hanovre et la Hesse-Électorale devaient faire les frais, juste de quoi combler les solutions de continuité du royaume.

Après d’aussi éclatans succès, une politique bien inspirée, exempte d’arrière-pensées que les circonstances ne comportaient plus, se serait hâtée de prendre acte des revendications prussiennes. Mais on était à Paris plus préoccupé de Florence que de Berlin ; on subissait des influences contradictoires, on vivait au jour le jour, sans plan de conduite nettement arrêté, cédant à des impressions, comptant, pour sauvegarder les intérêts du pays, sur la fortune, qui déjà nous avait abandonnés.

La fermeté de l’ambassadeur ne devait pourtant pas rester sans effet. A la suite d’un conseil de guerre réuni à Czerna-Ora, en quelque sorte sous ses yeux, sur la terrasse du château, le roi l’informa que, pour avoir le temps de connaître les résolutions de l’Italie, il consentait, non pas à un armistice, ou à une suspension d’armes incompatible avec le traité italien, mais à une abstention d’hostilités de trois jours. C’était un acte de déférence plutôt qu’une concession réelle; les propositions étaient telles que l’état-major autrichien dut les repousser[1].

M. de Bismarck, qui dans l’entretien nocturne de Zwittau s’était laissé aller à se plaindre de notre intervention, avait bientôt reconnu que le gouvernement de l’empereur n’en était pas encore à se laisser émouvoir par des essais d’intimidation. Il avait trop compté sur la mission du prince de Reuss, fort bien vu assurément aux Tuileries, mais dont l’action, bien qu’étayée par une lettre autographe du roi, n’était pas de celles qui décident du sort des empires.

Le prince de Reuss n’était pas un diplomate de grande envergure, mais c’était un grand seigneur qui, par le charme et la distinction de ses manières, atténuait les préventions qu’inspirait parfois la personnalité anguleuse du comte de Goltz. Il avait su capter la bienveillance de l’empereur, qui l’admettait volontiers dans l’intimité

  1. Le premier secrétaire de l’ambassade de France dut porter les propositions prussiennes aux avant-postes autrichiens, car on ne voulait pas qu’on pût soupçonner le roi d’en avoir pris l’initiative; elles étaient jointes à la note dont voici le texte : « Ne pouvant conclure sans le consentement de l’Italie l’armistice proposé par la France, mais voulant cependant donner à l’empereur Napoléon un témoignage de ses bons sentimens, le roi, afin de laisser le temps de constater les intentions du gouvernement italien, est prêt à ordonner à ses troupes, à titre réciproque, de s’abstenir de tout acte d’hostilité contre l’Autriche pendant trois jours, sous les conditions suivantes. »