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pouvait le croire, et il devait en inférer que nous ne nous expliquerions qu’à coup sûr, devant des offres nettes et précises. Aussi, sans s’arrêter aux objections réitérées de notre ambassadeur, qui disait n’être muni ni d’instructions ni des pleins pouvoirs nécessaires, lui proposa-t-il de discuter et d’établir avec lui les bases d’un armistice, qu’il se chargerait de faire accepter au roi. Il ne s’en tint pas là. Il essaya de lui démontrer qu’après les revers de l’Autriche, rien ne s’opposait plus à ce que la France et la Prusse modifiassent à elles seules leur état territorial, et qu’elles pouvaient dès ce moment résoudre d’un commun accord les difficultés qui étaient de nature à menacer la paix de l’Europe. M. Benedetti, toujours sur la défensive, eut beau rappeler qu’il existait des traités, et que la guerre serait la conséquence forcée d’une telle politique, M. de Bismarck insista. — « Vous vous méprenez, disait-il; la France et la Prusse unies, et résolues à redresser leurs frontières, en se liant par des engagemens solennels, seraient en situation de régler toutes les questions, sans avoir à se préoccuper ni de la résistance armée de l’Angleterre, ni de celle de la Russie. »

Les dates ont leur importance. C’est le 15 juillet que M. Benedetti rendait compte dans un rapport d’ensemble des entretiens successifs qu’il avait eus avec le comte de Bismarck. Douze jours s’étaient écoulés déjà depuis Sadowa. Le 14 juillet, le parti de la guerre luttait encore, nous l’avons vu par la note du prince Napoléon trouvée aux Tuileries. Il s’agissait donc de maintenir le gouvernement français dans ses illusions, de se montrer prêt à conclure avec lui un nouveau Tilsitt, et de lui laisser l’espoir d’importans agrandissemens territoriaux, en échange des annexions déjà consommées de fait dans le nord de l’Allemagne. Aussi rien ne coûtait-il à M. de Bismarck pour nous convaincre qu’il tenait compte de nos intérêts dans la mesure la plus large et la plus sympathique. Il trouvait un autre avantage dans ces négociations, qui devaient prendre de plus en plus un caractère dilatoire. Elles lui permettaient d’échapper au contrôle de l’Europe. Il suffisait en effet de désintéresser la puissance qu’il avait particulièrement à redouter pour empêcher une intervention collective au nom de l’équilibre menacé.

Il n’avait donc plus à demander au destin que quelques jours de répit pour écraser les armées du midi, concerter les préliminaires avec l’Autriche, compléter ses effectifs et avoir les coudées franches. Ce répit, la fortune ne devait pas le lui refuser.

M. Benedetti continuait à suivre le roi d’étape en étape, fort embarrassé de son rôle, attendant des instructions qui n’arrivaient pas et ne sachant plus sur quel diapason régler son langage. Il sentait, malgré les attentions dont il était l’objet, que sa présence au quartier général froissait l’amour-propre prussien plus exalté