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publique, qui ne comprendraient pas qu’on fît la paix pour restituer intégralement ce qu’on avait conquis, sans profiter de ses succès pour corriger l’étrange configuration de la monarchie. Aussi croyait-il que le roi serait forcé de continuer la guerre s’il ne lui était fait aucune concession territoriale.

Les conseils se succédèrent et ce n’est qu’à l’issue de la dernière séance que M. de Bismarck finit par déclarer qu’on ne déclinait pas notre médiation, qu’on négocierait sur les bases que nous avions libellées, bien que le roi refusât à les envisager comme des conditions suffisantes pour la conclusion de la paix. Il ajoutait qu’il allait faire pressentir cette résolution à M. de Goltz, et qu’il lui prescrivait par l’ordre de son souverain de s’en ouvrir franchement avec l’empereur.

Ce fut un moment critique pour la cour de Prusse. Le roi avait fait mander le prince royal au quartier général : il ne voulait pas engager les destinées de la monarchie sans connaître son avis. On dit qu’il manifesta l’intention d’abdiquer plutôt que de rentrer dans sa capitale sans apporter à son peuple le juste prix des succès de l’année. On parle aussi de propos calculés, tenus dans une pièce voisine de celle où se trouvait l’ambassadeur de France, d’une scène qui se serait passée à la cantonade, vague et lointaine réminiscence de la scène de Campo-Formio, où le casque aurait été substitué avec avantage au cabaret de Saxe.

Les scènes historiques ont toujours prêté à la légende. Il n’en est pas moins certain que, s’il n’avait tenu qu’au roi, « les lois fatales de l’histoire et les décrets impénétrables de la Providence » ne seraient pas restés en suspens devant notre médiation. Le problème germanique eût été résolu sur l’heure: la Prusse se serait substituée à l’Allemagne. Déjà Saint-Simon avait constaté que, de tous les princes de l’Europe, les rois de Prusse étaient les plus attentifs à leur agrandissement. L’attention du roi Guillaume n’avait pas besoin d’être stimulée.

En se résignant, on tenait du moins à ne pas nous laisser ignorer qu’on subissait, le cœur ulcéré, les nécessités du moment, et qu’en persistant dans notre altitude, nous nous exposions à perdre tous les bénéfices de notre neutralité. Des résultats considérables étaient acquis, mais il importait de ne pas les compromettre. On n’adhérait aux préliminaires qu’avec des réserves et des restrictions mentales, décidé à faire échouer les négociations, si la démarche prescrite à M. de Goltz devait rester infructueuse. Déjà, prévoyant notre résistance, on avait ordonné la mobilisation des 4es bataillons, on résolut de former des 5es bataillons, et le grand état-major fut invité à reporter tout particulièrement son attention vers le Rhin. Quelques jours plus tard, dès l’arrivée des plénipotentiaires autrichiens