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Gourko. La guerre qu’en Russie comme en Occident tant de politiques à courte vue se plaisent à regarder comme une salutaire diversion aux embarras du dedans, la guerre tant vantée comme un infaillible dérivatif à la fièvre révolutionnaire semble plutôt en Russie avoir surexcité les passions subversives et exacerbé les plaies qu’elle devait guérir. Que d’autres s’en étonnent, à nos yeux, il n’y a rien là que de fort naturel. La guerre et surtout une guerre mêlée d’alternatives de revers et de victoires, remue trop profondément un peuple pour que l’esprit public ainsi agité et soulevé retombe immédiatement dans le repos et l’accalmie. La guerre, et surtout une guerre longue, meurtrière et coûteuse, traîne après elle trop de douleurs et de ruines privées, trop de difficultés et d’embarras publics, trop de charges dans le présent et trop d’inquiétudes pour l’avenir, trop de déceptions dans les revers ou de désenchantemens dans le succès, pour que l’esprit révolutionnaire n’y trouve point un aliment et une pâture. Comment les agitateurs de profession seraient-ils les derniers à tirer parti du trouble maladif et de l’irritation nerveuse que laissent d’ordinaire après eux dans une partie du peuple des espérances et des efforts presque toujours plus grands que les succès réalisés?

Les derniers événemens, les conspirations ou les attentats répétés dont la Russie est presque journellement le théâtre soulèvent plus que jamais l’obscur problème de l’avenir politique du vaste empire du nord. Ce problème souvent tranché en Occident avec une légèreté hâtive et une présomptueuse infatuation, nous comptons bien l’aborder ici, mais seulement après en avoir réuni toutes les données et tous les élémens. Nous essaierons alors de mesurer la portée des désordres qui étonnent l’Europe, de peser ces forces révolutionnaires dont aux yeux de l’étranger la fébrile activité grossit de loin la puissance. Avant d’oser tenter un tel essai, il nous faut achever l’examen des conditions sociales et des institutions actuelles de l’empire. En pareille matière, ce procédé analytique est le seul qui défende des généralisations prématurées et des conclusions incomplètes, le seul qui permette d’apprécier la valeur réelle des faits et l’importance relative des phénomènes sans se laisser prendre aux plus apparens ou aux plus retentissans.

Nous allons entamer aujourd’hui l’étude du plus essentiel peut-être de tous les services publics, celui de la justice. Les derniers attentais et les récens procès ont donné à ce sujet un nouvel et triste intérêt. Les meurtres politiques, les attaques à main armée dont au milieu des plus grandes villes de l’empire, à Saint-Pétersbourg, à Kief, à Odessa, ont été victimes les agens les plus haut placés et en apparence les mieux protégés du gouvernement, l’acquittement légal de certains coupables, l’impunité effective de la