Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/915

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réaliste et positif pour n’en pas apercevoir les avantages pratiques, et il apprécie les verges sans préjugé. Quelle peine est plus simple, plus rapide, plus saine quand elle est appliquée avec mesure? quelle peine est plus économique pour le coupable qui la reçoit et pour l’autorité qui l’inflige? Les verges ne coûtent ni argent ni temps ; après le fouet, on travaille mieux, on dort mieux, assure un vieux dicton.

C’est la coutume qui maintient encore les verges dans la justice villageoise, et c’est la coutume qui peu à peu les supprimera. Un des avantages du droit coutumier sur le droit écrit, c’est qu’en effet le premier se modifie et s’améliore insensiblement avec les mœurs et les idées dont il suit les progrès. Aussi le législateur a-t-il été bien inspiré en ne faisant point violence aux habitudes et aux traditions rurales et en se contentant d’abroger cette peine humiliante pour les classes relevant uniquement du droit écrit. Le jour où le paysan sentira toute l’indignité, toute l’abjection de ce châtiment, légalement supprimé pour toutes les autres conditions, les tribunaux de volost auront bientôt cessé d’y condamner le moujik. Les verges tomberont d’elles-mêmes des mains du juge, et, en en prohibant définitivement l’emploi, la loi ne fera que sanctionner le progrès des mœurs. La réforme se fera peu à peu toute seule. Déjà les verges commencent à perdre de leur vogue, dans nombre de communes les paysans tendent à leur substituer l’amende ou les arrêts. La loi du reste ne tolère l’usage de cette peine rustique qu’en le restreignant; elle exempte expressément des verges ceux des paysans qui en souffriraient le plus dans leurs membres ou leur cœur, les femmes de tout âge, les vieillards au-dessus de soixante ans, tous les hommes ayant obtenu un diplôme d’instruction dans les écoles de district, sans compter les fonctionnaires ou les juges de la commune et tous ceux qui tiennent à l’administration locale, à l’enseignement ou au culte.


IV.

A des tribunaux uniquement chargés d’appliquer les coutumes locales, il est oiseux de demander aucune instruction juridique; aussi les juges de bailliage sont-ils de simples paysans choisis par leurs égaux. Avec le droit coutumier, le jugement par ses pairs n’offre que des avantages, et l’élection des juges paraît naturelle. Le juge n’est guère alors qu’un arbitre ou bien un juré, et là où règne la coutume le jury fonctionne presque aussi aisément au civil qu’au criminel. Le mandat des juges de bailliage est d’ordinaire annuel, leur élection est abandonnée au conseil de volost