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protestation restreindre ainsi les droits et la juridiction de ses tribunaux. Malgré la dépendance, malgré l’esprit de soumission du clergé orthodoxe, il faut que l’église russe ait manifesté ses répugnances à de tels projets pour que ceux-ci n’aient pas encore reçu leur application. La réforme de la justice ecclésiastique a été mise à l’étude vers 1870; trois ans plus tard, en 1873, le saint synode était invité à examiner les bases de la réforme telles qu’elles avaient été posées dans la commission nommée à cet effet par le souverain, et, en 1878, les principales dispositions de cette réforme n’ont pas encore, croyons-nous, été mises à exécution. Il y a là quelque chose qui dépasse les lenteurs habituelles du gouvernement impérial. La Russie, il est vrai, a eu au dehors dans ces dernières années de quoi la distraire des tribunaux ecclésiastiques; mais, quelque occupée que lut ailleurs son attention, le gouvernement n’en eût pas moins trouvé le moyen de faire appliquer une réforme longuement préparée, si, dans les résistances ou les répugnances du clergé, il n’eût rencontré quelque obstacle à ces utiles innovations.

C’est dans ce domaine religieux, dont à l’étranger on le croit maître absolu, que le gouvernement impérial se sent encore le moins libre, le moins omnipotent. Sur ce terrain, il ne peut, comme dans le domaine de l’état, tout abroger ou réformer à son gré, tout changer d’un coup ou tout créer à neuf, sans se préoccuper de ce qui existe. Devant l’église, l’autorité impériale n’est plus en présence d’une table rase. Quelque influence qu’il possède sur le saint synode et le clergé, le pouvoir civil n’aime pas d’ordinaire à faire violence à leurs scrupules ou à brusquer leurs préjugés. Or l’église russe, l’église orientale, dont la force est dans la tradition et l’immobilité, redoute tout changement, toute altération même apparente à sa constitution et à ses usages. Cette répulsion pour les nouveautés croît naturellement quand ses droits et privilèges sont en question, et l’on ne saurait dissimuler que dans la composition de ses tribunaux, comme dans leur procédure ou leur compétence, ce qu’on réclame de la justice ecclésiastique, c’est une entière rénovation plus conforme aux idées laïques de droit et de liberté qu’aux notions ecclésiastiques de soumission et d’autorité.

Voilà ce qui a retardé, ce qui retardera peut-être encore quelques années l’exécution d’une réforme réclamée par le progrès des mœurs et l’esprit de la Russie moderne. Ce n’est là du reste qu’une question de temps et de mesure. Pour conserver son existence et ses tribunaux particuliers, la justice ecclésiastique devra se plier aux maximes et aux règles qui prévalent dans les tribunaux laïques. Si la Russie peut encore tolérer des juridictions corporatives et des tribunaux d’exception, c’est à condition que, tout en