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M. Fustel de Coulanges, qui s’est emparé en maître de cette idée, vague avant lui, précise depuis qu’elle a reçu son empreinte, distingue péremptoirement ces deux époques que l’on confond trop souvent, que Cicéron lui-même a confondues au premier livre des Tusculanes, celle où l’être humain vivait de sa vie isolée dans le tombeau, et celle où l’on se figura une région souterraine aussi, mais infiniment plus vaste que le tombeau, où toutes les âmes loin de leurs corps vivaient rassemblées : ce fut l’âge du Tartare et des champs Élysées. La même loi qui règle la succession de ces deux croyances en Occident se retrouve chez les Hindous. « Avant de croire à la métempsycose, ce qui supposait une distinction absolue de l’âme et du corps, les Aryas de l’Orient, à l’origine, ont cru, eux aussi, à l’existence vague et indécise de l’être humain, invisible, mais non immatériel et réclamant des mortels une nourriture et des offrandes. Opinion grossière assurément, mais qui est l’enfance de la notion de la vie future. »

Chose singulière! cette opinion, qui fut la première de toutes, resta la dernière dans l’antiquité et ne disparut que devant le christianisme. D’où vient cette vitalité extraordinaire d’une croyance si grossière et si misérable? De sa simplicité d’abord, mais surtout du sentiment qu’elle exprimait. Sa simplicité même écartait d’elle les réfutations savantes : comment se prendre à cette existence indéterminée, sans forme et sans nom, sans attributs bien définis et que la fantaisie ou la piété de chacun imaginait à son gré? — Mais ce qui faisait la force de cette croyance, c’était l’instinct qu’elle recouvrait et qui la soutenait contre tous les argumens et les épigrammes des beaux esprits, contre la dialectique de l’école et contre l’ironie plus dissolvante encore : l’instinct de l’être qui se sent indestructible. L’intelligence confuse des premiers âges et plus tard la pensée concrète des foules distinguent mal les divers élémens du problème et ne savent guère en analyser les termes ; mais elles sentent, sans savoir définir leur obscur sentiment, que toute mort est une apparence et que rien ne périt. Les forces de la nature n’ont-elles pas ce genre d’éternité qu’elles comportent, inépuisables sous la variété des phénomènes dont elles composent le jeu brillant de l’univers? La matière elle-même ne paraît-elle pas indestructible à celui qui sait en suivre les transformations sans fin? Toutes ces idées, qu’Héraclite et les Ioniens rendirent de bonne heure familières à l’antiquité savante, étaient enveloppées d’ombre dans l’imagination populaire ; elles n’en étaient pas moins tenaces et résistantes. A plus forte raison, la vie avec son organisation merveilleuse, le sentiment de la vie si profondément attaché au fond de l’être qu’il se confond avec lui, devaient-ils paraître indestructibles.

Et nous-mêmes, après tant de siècles de métaphysique et de raisonnement,