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la mort est sans contredit le petit traité intitulé ; Qu’on ne peut vivre agréablement en suivant la doctrine d’Epicure. Le bon sens de Plutarque a ramassé en quelques pages toutes les objections que devait susciter le paradoxe d’une doctrine toute négative, qui se portait hautement pour la bienfaitrice des hommes. On pourrait souhaiter un plus grand effort métaphysique pour creuser la question : on ne peut rien trouver de plus judicieux. A côté des protestations de la conscience populaire, il y a même là un assez grand nombre d’idées qui ne sont que suggérées, mais dont la philosophie peut faire son profit. En lisant les dernières pages de ce dialogue familier, nous aurons la contre-partie la plus exacte de la polémique épicurienne ; c’est le monde moral de l’antiquité vu sous ses deux aspects, et nous pourrons nous convaincre que la conscience humaine a connu de tout temps les mêmes problèmes, les mêmes angoisses, les mêmes doutes et cherché le repos dans les mêmes solutions.

Singulière manière de consoler les gens ! s’écrie le vieux sage de Chéronée dans ce dialogue que nous résumons d’une manière libre, pour mieux faire ressortir l’idée philosophique noyée dans les digressions. On dit aux malheureux qu’ils n’ont pas d’autre issue à leur misère que la dissolution de leur être et une entière insensibilité. C’est comme si quelqu’un venait dire dans une tempête aux passagers éperdus que le vaisseau est sans pilote et qu’il ne faut pas compter sur l’apparition des Dioscures pour apaiser les vents et les flots; qu’au reste tout est ainsi pour le mieux, puisque la mer ne peut tarder à engloutir le navire ou à le briser. — « Malheureux dans la vie présente, vous espérez une vie meilleure? Quelle erreur ! Ce qui se dissout est insensible et ce qui n’a nul sentiment ne peut nous intéresser en rien. En attendant, faites bonne chère et tenez-vous en joie. » Voilà ce que nous disent les épicuriens, quand nous souffrons, quand nous sommes malades ou exposés à un grand danger. — Mais au moins, quand le navire a été brisé, le passager lutte encore, il est soutenu par une dernière espérance, il va tenter de gagner le bord à la nage. Ici, rien de semblable : il n’y a plus d’espoir; et c’est le moment: où l’on vient nous dire : « Réjouissez-vous donc! » — Qui n’éprouverait en effet la joie la plus vive dans la méditation de cette pensée vraiment divine que le néant est le terme de tous nos maux?

Le vulgaire, dites-vous, craint les peines de l’enfer, et cette crainte corrompt tout son bonheur; mais le désir de l’immortalité surpasse infiniment en douceur et en plaisir ces puériles terreurs. Vous ne faites que déplacer le mal. L’idée d’une privation totale de la vie attriste également les jeunes gens et les vieillards. Il y en a qui s’immolent sur les bûchers de leurs parens et de leurs amis à cette seule pensée qu’on ne naît qu’une fois, qu’on ne peut retourner