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cette nouvelle et à encourager des espérances inadmissibles et irréalisables. »

On disait à Berlin du général Manteuffel, qu’on appelait un « chevalier-moine du moyen âge, » que pour procurer un agrandissement à la Prusse, il irait jusqu’au « crime politique. « Le patriotisme de M. de Bismarck n’était pas moins féroce : ce grand esprit ne reculait devant aucun moyen, si petit qu’il fût; avec l’astuce d’un chasseur indien, il nous tendait des pièges, nous attirait dans des chausses trapes et, le moment venu, nous étranglait sans pitié.

Certain de l’effet que ses révélations produiraient à Saint-Pétersbourg, M. de Bismarck ne respectait plus aucune convenance. Il ameutait contre nous les passions germaniques et nous mettait en suspicion aux yeux de l’Europe.

Il ne s’en tint pas là, il décréta des mesures militaires dont la signification ne pouvait nous échapper. Les régimens partaient à toute vapeur des provinces orientales, pour se concentrer sur le Rhin, et une ordonnance insérée au moniteur prussien en date du 8 août enjoignait à la commission du recrutement des dépôts la reprise immédiate et rapide de ses travaux. Ces avertissemens n’étaient pas les seuls qui auraient dû frapper le gouvernement français et lui révéler le danger; les appréhensions les plus vives se faisaient jour dans les correspondances de notre diplomatie. « Pris dans leur ensemble, écrivait un.de nos agens[1], tous ces symptômes prouvent que le gouvernement prussien est bien résolu à se refuser à toute transaction. Il a usé dans ces deux dernières années d’une rapidité souvent foudroyante dans ses manœuvres contre l’Autriche, et il agit aujourd’hui comme s’il était bien résolu à procéder éventuellement de même vis-à-vis du gouvernement de l’empereur. L’impulsion est donnée maintenant; grâce au concours d’un journaliste français, la question est livrée aux commentaires passionnés de la foule, et partout retentit comme un mot d’ordre « pas un pouce de terre allemande, plutôt la guerre. »

Mais on semblait frappé de cécité, on ne tenait plus compte que d’une opinion publique nerveuse et jalouse, et pour la satisfaire on passait d’une combinaison à une autre, sans en peser les conséquences. Le rideau était à peine tombé sur la question de Mayence, qu’il devait se relever sur la question belge. Toutefois, avant de s’arrêter aux propositions de M. de Bismarck, qui, au dire de son ambassadeur, étaient de nature à consacrer l’alliance indissoluble des deux pays, on revint à l’idée que l’empereur caressait de préférence, celle d’un royaume neutre sur les bords du Rhin. M. Drouyn de Lhuys

  1. M. Lefèvre de Béhaine.