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s’est-il incliné devant le langage quelque peu irrévérencieux de son ancien ministre, membre de son conseil privé? A-t-il reconnu le bien-fondé de ses protestations indignées? On a négligé de le dire. Mais tout le monde sait qu’à Vichy, dans les premiers jours d’août, sa santé inspirait les plus vives inquiétudes, et s’il a agréé et même amendé les instructions rédigées par son ministre, dont la responsabilité demandait à être constitutionnellement couverte par la signature du souverain, il n’a pu le faire en tout cas que dans la mesure d’une volonté altérée par le mal cruel dont il souffrait[1].

L’empereur peut être diversement apprécié dans son caractère et dans sa politique, mais il avait à un haut degré le sentiment de sa responsabilité; jamais il n’est descendu à récriminer contre ceux qui l’ont servi, et jamais il n’a refusé à ses ministres l’approbation écrite qu’ils réclamaient pour se couvrir. Lorsqu’il disait, le 12 août, dans une lettre confidentielle au marquis de Lavalette, que M. Drouyn de Lhuys avait eu l’idée d’envoyer un projet de convention à Berlin, ce n’était certes pas avec l’arrière-pensée de rendre son ministre des affaires étrangères responsable d’une faute aux yeux de l’histoire. Il constatait simplement un fait, et tenait à bien faire comprendre au ministre de l’intérieur, afin de lui permettre de réagir énergiquement contre les tendances de l’opinion publique, que sa politique n’était pas celle des revendications territoriales. On ne saurait du reste reprocher à M. Drouyn de Lhuys d’avoir tenu à restreindre sa part de responsabilité dans les demandes de compensations adressées à la Prusse ; elles ont été une des causes primordiales des événemens de 1870.


XIII. — LES INSTRUCTIONS DU 16 AOUT RELATIVES A LA BELGIQUE. — LES PAPIERS DE CERCEY.

L’ambassadeur revint à Berlin avec l’ordre de déclarer au gouvernement prussien que l’incident au sujet de Mayence était clos et qu’il pouvait considérer comme non avenu le projet de traité qu’il lui avait communiqué le 5 août. M. de Bismarck n’avait pas attendu notre renonciation pour se mettre en mesure de rattacher Mayence au système défensif de la confédération du nord[2]. Les traités de Vienne étaient déchirés, il ne pouvait les invoquer ; mais,

  1. M. Sidney Renouf, qui avait à cette époque des rapports suivis avec le ministère des affaires étrangères, a dit dans les Coulisses diplomatiques que l’empereur consentit sur les pressantes instances de M. Drouyn de Lhuys à demander des compensations territoriales. M. Pradier-Fodéré a confirmé cette assertion en la reproduisant dans sa brochure.
  2. Il avait exigé de M. de Pfordten et de M. de Dalwigk, dès leur arrivée à Berlin, la remise immédiate de Mayence, avant l’expiration de l’armistice.