mais encore eût-il fallu que l’emploi de cette somme ne dégénérât point en gaspillage. Il y avait au Théâtre-Italien un directeur qui se débattait dans les tiraillemens et les angoisses du suprême effort, et c’est justement ce désespéré, ce noyé qu’on s’en va charger du soin de faire revivre le Théâtre-Lyrique. Une méchante cantate, la Fête de la Paix, exécutée en habits noirs, et quatre ou cinq représentations du Capitaine Fracasse eurent vite épuisé la veine. Ce qu’il en coûtera à l’état de cette belle équipée, ce sera à la commission du budget de le demander à M. Bardoux, lorsque cet habile ministre viendra lui réclamer des fonds pour ces grandes idées de reconstitution universelle qui le possèdent et dont quelques-unes réalisées déjà s’annoncent comme devant donner de si beaux résultats; mais tout ceci mérite un paragraphe spécial, et nous y reviendrons. — Retournons vite à l’histoire des Amans de Vérone, nous touchons au couronnement. M. Capoul a du goût pour les rôles poétiques du grand répertoire; dans sa période si brillante de l’Opéra-Comique, au milieu des succès fameux qu’il remportait dans Fra Diavolo, dans la Dame Blanche et le Premier jour de bonheur, nous l’avons entendu souvent se plaindre du sort qui le condamnait à voleter ainsi au ras du sol quand toutes ses aspirations l’eussent entraîné vers la hauteur. Quoi d’étonnant que cette figure de Roméo l’ait tenté alors qu’il avait pour la rendre toute sorte d’avantages que bien d’autres, également doués du côté du talent, ne possédaient pas! L’adhésion d’un artiste de cette valeur et de ce prestige est le meilleur des patronages ; ainsi pensait l’auteur des Amans de Vérone, tandis que le ténor de son côté sentait grandir sa confiance, et tous les deux marchant au même but, tous les deux se disant, l’un regardant l’autre : In hoc signa vinces, ils ont fini par arriver au succès.
Bandello, quand il intitulait son histoire : La sfortunata morte di due infelicissimi Amanti, semble avoir dicté son titre à l’auteur des Amans de Vérone. Non point que M. d’Ivry songe à se passer de Shakspeare, tout au contraire il le compulse avec tact, et son information de ce côté va même beaucoup plus loin que celle de ses devanciers, témoin ce rôle de la nourrice, omis partout ailleurs, et qu’il nous rend dans sa remuante et loquace originalité, témoin surtout cette belle figure de l’anachorète botaniste traitée solennellement et pontificalement par M. Gounod, et qu’il étudie d’un point de vue plus humain, abaissant d’un cran le ton général du discours, ne rejetant pas le mot familier et ramenant au naturel tous ces Capulets et Montaigus accoutumés beaucoup trop à s’exprimer comme des héros de Ducis, — ce que je veux dire, c’est que M. d’Ivry, s’il s’attache de plus près à la chronique, ne perd pas une occasion d’interroger Shakspeare. Il en prend ce qu’il peut, ce que les circonstances lui permettent d’en prendre, car un auteur à son début n’est jamais le maître d’affirmer si haut ses opinions. Vivere primum,