aux rois. Cette fourmilière imperceptible ne put être écrasée par le roi démon du midi et dominateur des deux mondes, ni par les intrigues du Vatican qui faisaient mouvoir les ressorts de la moitié de l’Europe. Elle résista par la parole et par les armes, et à l’aide d’un Picard qui écrivait et d’un petit nombre de Suisses qui combattit, elle s’affermit, elle triompha, elle put dire : Rome et moi ! » Il est vrai qu’en ce temps, comme le remarquait le terrible railleur, il s’agissait de savoir comment l’Europe penserait sur des questions que personne ou presque personne n’entendait, et que plus tard, l’absurdité de certaines controverses ayant été enfin reconnue, les Genevois se tournèrent vers ce qui paraît plus solide, l’acquisition des biens de la terre et l’art de s’enrichir. « Le système de Law, plus chimérique et non moins funeste que ceux des supralapsaires et des infralapsaires, engagea dans l’arithmétique ceux qui ne pouvaient plus se faire un nom en théomorianique. Ils devinrent riches, et ne furent plus rien. »
La conclusion de Voltaire n’est pas juste. Genève a eu beau devenir très forte en arithmétique, elle est encore quelque chose. Si elle n’est plus comme autrefois la cité de Calvin et « la capitale d’une grande opinion, » trouverait-on ailleurs, dans toute l’Europe, une autre ville de 60,000 habitans où il règne plus d’estime pour les choses de l’esprit, où l’on fasse davantage pour l’instruction, pour la science, et dans laquelle il se remue tant d’idées? Ce qui rend cette petite république particulièrement intéressante, c’est qu’on y peut étudier à nu les évolutions de la démocratie, ses tendances bonnes et mauvaises, ses passions, ses excès, ses repentirs aussi, et les tempéramens, les correctifs qu’elle se donne à elle-même dans une heure de salutaire résipiscence. De vieilles traditions de liberté républicaine, l’antique habitude de se gouverner soi-même et de s’occuper activement de ses affaires, une population qui sait lire et qui aime à lire, des esprits qui voyagent beaucoup et qui finissent toujours par revenir chez eux, la passion de discuter, d’argumenter, d’ergoter et des engoûmens subits, mais éphémères, une certaine inquiétude d’humeur amoureuse des nouveautés, jointe à la ténacité des souvenirs, des passions vives sous une écorce froide et un peu rugueuse, des colères rouges et des retours soudains de bon sens, voilà Genève. C’est une ville où il y a beaucoup de curieux, beaucoup de raisonneurs, beaucoup de frondeurs, le goût des découvertes, des inventions, et un grand mépris pour les utopies. Les fous genevois ont eux-mêmes des lueurs, des éclairs; d’habitude ils déraisonnent autant que ceux des autres pays, mais ils observent le repos dominical; sur les sept jours de la semaine il y en a un consacré au bon sens. Il est vrai que c’est le jour où l’on ne fait rien.
On savait que la république genevoise était administrée depuis quelques années par un gouvernement non-seulement démocratique, mais