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avec de la viande crue ou bouillie. Après plusieurs jours de cette alimentation dépourvue de tout principe sucré, il avait constaté que le sucre du sang artériel avait à peine varié de quantité; le foie de l’animal en fournissait pareillement. Une alimentation fortement sucrée augmente, il est vrai, mais faiblement, le sucre normal du sang. Cet excès ne prouve pas que la quantité normale du sucre vienne de cette alimentation, car l’alimentation absolument contraire la modifie à peine. Et à cette preuve, Claude Bernard ajoute celle que lui fournissent les larves des mouches, dont les œufs déposés sur la viande crue s’y développent, s’y nourrissent, et, transformés en larves, se montrent riches en sucre. Ce sucre d’où vient-il? Non de l’alimentation, mais de l’organisme de la larve qui possède la fonction glycogénique, non plus limitée à un organe spécial, le foie, comme dans les animaux supérieurs, mais à l’état diffus, comme le sont tant de fonctions chez les animaux inférieurs.

Arrivé à ce point, et enrichi d’une foule de connaissances de détail que nous ne pouvons rappeler, Claude Bernard se pose cette autre majeure et délicate question : Comment le sucre se produit-il dans le foie ? Par quel procédé cet organe exécute-t-il une fabrication non soupçonnée jusqu’ici? Quels sont les élémens qu’il transforme en sucre, et comment s’opère cette transformation? La réponse à ces questions, Claude Bernard arrive à la donner, et ce n’est pas le côté le moins étonnant de sa grande découverte. Après bien des essais, après des recherches conduites avec un esprit de suite et une liberté d’idée admirables, il isole du foie une véritable matière amylacée qu’il appelle le glycogène, et il montre que le sucre ne se produit pas directement dans le foie par le dédoublement d’un principe du sang, ou des matières albuminoïdes du sang, mais aux dépens d’une matière préexistante dans le foie, le glycogène.

Claude Bernard sépare ainsi en deux temps la fonction glycogénique : d’abord production de la matière glycogène; secondement transformation de celle-ci en matière sucrée. Cette dernière transformation, comment s’accomplit-elle? A l’aide d’un ferment, comme toutes les transformations de ce genre. La matière glycogène est une matière amylacée; il y a une diastase hépatique qui liquéfie la matière glycogène et la transforme en glycose, comme il y a des fermens diastasiques qui, dans le règne végétal comme dans le règne animal, transforment toutes les matières féculentes, et même le sucre de canne, en sucre de raisin ou glycose. Ni le sucre de canne, ni les substances amylacées ne peuvent être directement assimilées par l’organisme. Cette assimilation n’a jamais lieu qu’après transformation en glycose, au moyen de fermens diastasiques. Il y a dans le pancréas et les glandes salivaires une diastase ou