Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1807. D’après cette convention en effet, la France et la Russie prenaient l’engagement de « s’entendre pour soustraire toutes les provinces de l’empire ottoman en Europe, la ville de Constantinople et la province de Roumélie exceptées, au joug et aux vexations des Turcs[1]. » La Russie devait s’étendre des bords du Danube jusqu’aux Balkans; la Bosnie et la Servie étaient données à l’Autriche, et comme Napoléon se réservait pour lui-même l’Albanie, la Morée et les îles de l’Archipel, de sorte qu’il ne restât à la Porte en Europe que le pays au sud des Balkans avec les détroits, on voit que c’était là l’idéal d’une « concentration » de l’empire ottoman telle que l’a célébrée naguère devant le parlement le principal ministre de sa majesté britannique. Étrange ironie de l’histoire qui, au bout de soixante-dix ans, s’est complu à faire du comte Beaconsfield et du prince de Bismarck les exécuteurs testamentaires d’une idée napoléonienne! Mais plus étrange encore la mauvaise humeur que le traité de Berlin n’a pas cessé de causer à Saint-Pétersbourg ! La Russie populaire et panslaviste de nos jours ne goûte que médiocrement, estime même à l’égal d’un désastre national un arrangement qu’Alexandre Ier était heureux d’obtenir au prix des plus grands sacrifices, au prix de la création d’un duché de Varsovie et de l’anéantissement presque complet de la Prusse, au prix des provinces maritimes de la Turquie cédées à une France déjà maîtresse de tout le continent jusqu’à la Vistule, au prix enfin du système continental englobant l’empire du tsar, et d’une guerre presque inévitable avec l’Angleterre.

Il est vrai que, rentré dans ses états et sous l’influence de l’entourage alors très ardent de Saint-Pétersbourg, qu’excité surtout par la nouvelle et inique entreprise de Napoléon sur l’Espagne, Alexandre Ier crut devoir en quelque sorte rouvrir le débat, et poser de nouveau, dans ses entretiens fameux avec M. de Caulaincourt, la redoutable question de Constantinople. Il n’est rien sur la terre et sous les cieux, il n’est principe, ni trône, ni partie du monde qu’il n’eût volontiers livrés à son grand allié, contre la promesse de ce joyau du Bosphore; à cette condition, il offrait même d’unir ses troupes aux armées de la France dans une expédition fantastique à travers toute l’Asie pour arracher aux Anglais leurs possessions de l’Inde ! Il avouait ingénument que sans Byzance, sans cette clé des mers, « la clé de sa porte, » tout le reste de la péninsule (le reste c’étaient pourtant les chrétiens, les Slaves, les Bulgares tant aimés depuis!) n’avait pour lui aucun attrait. « Il répétait sans cesse qu’il

  1. Article 7 du traité secret, Bogdanovitch, ubi suprà, t. II, p. 304, d’après l’original conservé aux Archives impériales. — M. Thiers (VII, p. 608) ne donne pas le texte exact.