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Je dois avouer ici que la candidature involontaire de Boursault n’a laissé de traces ni dans les mémoires du duc de Montausier, ni dans les mémoires de Daniel Huet, ni chez les écrivains qui de nos jours ont étudié à fond la vie de Bossuet. On y voit seulement que, Bossuet et Daniel Huet s’étant trouvés en compétition pour la place de précepteur du dauphin, la place de sous-précepteur fut créée en faveur de Daniel Huet avec un traitement de 2,000 écus[1]. Que faut-il penser de ce silence ? Est-ce une raison de rejeter absolument le récit que nous a transmis la famille de Boursault ? Tel n’est pas du tout mon sentiment. Nous avons déjà montré quelle était la haute estime de Montausier pour l’aimable poète ; toutes les choses que nous venons de raconter ont pu se passer d’abord entre le roi et Montausier, puis entre Montausier et Boursault, sans que ni Bossuet ni Huet en aient rien su. Quoi qu’il en soit, Boursault avait bien droit à un dédommagement. S’il n’était pas assez grand clerc pour devenir sous-précepteur d’un fils de France, il en savait assez pour occuper un emploi dans les finances de l’état. C’est vers ce temps que nous le voyons nommé receveur des tailles à Montluçon.

Ici commence une vie toute nouvelle pour l’ancien gazetier de la cour et de la ville. Il vient de se marier, le voilà père de famille et installé en province. Il continue d’écrire, mais il ne s’amuse plus aux échos du jour ou de la ville, il vit de ses souvenirs parisiens. En même temps une pensée plus élevée, une intention plus morale, manifeste déjà dans l’Étude des souverains, indique chez lui un certain changement d’allures, sans que la bonne gaîté d’autrefois ait jamais à en souffrir. Ces leçons de morale qu’il aime à donner, il les produit à la fois directement et sous forme d’apologue. Une lettre et une fable, — la lettre annonçant la fable, la fable résumant la lettre, — telle est la physionomie habituelle de sa correspondance. En voici un exemple entre vingt, un exemple qui se rattache à un point curieux de notre histoire littéraire. Tous les lettrés se rappellent le fameux sonnet de Desbarreaux, ce sonnet que le libertin, pendant une cruelle maladie, adresse de son lit de douleur au Dieu de miséricorde, après l’avoir tant de fois nié ou injurié. Eh bien ! à qui devons-nous la connaissance de ces beaux vers ? À Boursault. Boursault avait été admis tout jeune dans la maison du célèbre épicurien, c’est Desbarreaux qui avait appris à Boursault l’art des vers, et le gentil poète avait pour Desbarreaux (c’est lui-même qui nous le dit) les sentimens d’un fils respectueux et reconnaissant. Lorsque Desbarreaux eut composé ce sonnet, il eut

  1. Voir Floquet, Études sur la vie de Bossuet, t. III, p. 486-487. — Voir aussi l’abbé Flottes, Étude sur Daniel Huet, évêque d’Avranches, 1 vol. in-8o. Montpellier et Avignon, 1857, p. 63-67.