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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

l’image. Dionysos n’a obtenu le droit de cité qu’à la condition de se faire attique ; et le mysticisme passionné qui dans des pays voisins, à Thèbes, à Mégare, à Hermione, transporte ses adorateurs, a presque disparu des fêtes que lui offre l’état. Aux Anthestéries, la grande fête du printemps qui a consacré son admission dans la cité, il s’unit par un mariage mystique avec la fille de Déméter, Coré, personnifiant la végétation nouvelle de l’année ; mais la cérémonie, toute publique, n’a rien d’enthousiaste. Tel n’est pas non plus le caractère des cérémonies secrètes accomplies dans l’intérieur du temple de Limné par les quatorze femmes appelées Géraires, ni des sacrifices offerts à Hermès infernal et aux morts. On peut reconnaître dans l’organisation des Anthestéries sous Pisistrate l’influence de la théologie orphique, mais on n’y trouve pas d’exaltation religieuse.

Athènes ne participe au culte enthousiaste de Bacchus que par le chœur de femmes qu’elle envoie se mêler aux Thyiades de Delphes. Encore ce fait reste-t-il obscur. Constaté pour le temps de Plutarque et de Pausanias, on n’en reconnaît antérieurement l’existence que par induction. Sans doute, il est très possible que le souvenir d’anciens cultes locaux et des légendes qui s’y rapportaient dans certains dèmes[1] se soit conservé sous cette forme ; et surtout, si les bacchantes athéniennes n’avaient pas pris part aux fêtes orgiastiques du Parnasse, on s’expliquerait moins la complaisance avec laquelle les tragiques peignent en toute occasion les danses sur la montagne, toute illuminée pendant la nuit par les feux des torches. Mais en tout cas, c’est ailleurs que se célèbrent ces fêtes enthousiastes ; c’est près de Delphes sur le Parnasse, près de Thèbes sur le Cithéron ; c’est sur d’autres points encore de la Béotie, par exemple à Orchomène, où les rites des Agrionies, les courses des femmes à la recherche du dieu disparu, la poursuite d’une descendante de Minyas par le prêtre de Bacchus qui la menace de son épée nue, conservent un caractère particulièrement passionné et sauvage. Athènes répugnait à ces cultes désordonnés. C’est ce qu’exprime bien Euripide dans la pièce même où son génie de poète et d’artiste a tracé les plus vives images de l’enthousiasme dionysiaque. Par une de ces contradictions qui lui sont familières, en dépit du sujet et du dénoûment, c’est son propre sentiment, c’est celui des Athéniens qu’il exprime, quand il condamne par la bouche de Panthée les excès de cette nouvelle religion qui entraîne dans la montagne toutes les femmes transformées en bacchantes.

  1. Par exemple dans le dème de Sémachides : l’éponyme Sémachos avait donné à Dionysos l’hospitalité, et sa fille avait reçu du dieu la nébride, la peau de faon, vêtement consacré des Bacchantes.