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la Terre, ni l’Air, ni le Ciel n’étaient encore. Tout d’abord, dans le sein immense de l’Érèbe, la Nuit aux ailes noires enfante un œuf sans germe d’où naît au temps fixé le charmant Amour, orné d’ailes d’or resplendissantes, léger comme les tourbillons du vent. C’est lui qui, s’unissant au Chaos ailé et ténébreux, engendra dans le vaste Tartare notre race et la produisit la première à la lumière. La race des immortels n’existait pas avant que l’Amour eût tout uni ; mais quand les unions eurent été effectuées par lui, le Ciel naquit, ainsi que l’Océan et la Terre et la race bienheureuse de tous les dieux immortels… »

L’Amour des Oiseaux d’Aristophane sort d’un œuf sans germe, c’est-à-dire n’existe pas ; mais il fallait bien que l’orphisme eût une importance réelle et fût suffisamment connu du public pour qu’un poète comique eût l’idée de le parodier. C’est ce qui est prouvé aussi pour cette époque par les allusions d’Euripide. Mais les témoignages d’Aristophane suffisent. Quand il vante les bienfaits de la grande poésie, en première ligne il cite le poète Orphée, qui a enseigné aux hommes les initiations et les a fait renoncer à leurs habitudes sanguinaires. Antérieurement aux orphéotélestes, ces initiateurs vulgaires aux prétendus mystères d’Orphée, s’était formée une secte dont les membres se purifiaient, se sanctifiaient par la vie orphique, afin de sortir de ce cercle du mal où la destinée humaine semblait enfermée, et cherchaient la solution du problème du monde dans un monothéisme déguisé sous une mythologie nouvelle. Ce développement sérieux de l’orphisme est peut-être le fait le plus curieux qu’il y ait dans l’histoire religieuse de l’antiquité classique. Constitué par le faussaire Onomacrite, il acquit sur-le-champ une telle importance qu’il fit sentir son action sur des cultes aussi vénérés que ceux de Dionysos et de Déméter, et qu’il absorba en lui les premiers pythagoriciens. Platon ne dédaigna pas de lui faire des emprunts et, vers la fin du paganisme, les derniers platoniciens y cherchaient des armes pour lutter contre la grande religion qui s’élevait : tant il y avait en lui de vitalité et de pouvoir sur les âmes !

Cependant l’importance de l’orphisme dans la société athénienne n’est rien auprès de celle des mystères d’Éleusis, et ils ont aussi une part bien plus grande à l’attention d’Aristophane. Telle était la vénération dont ils étaient entourés qu’il semblerait qu’un pareil sujet eût dû être interdit à la comédie. Les témoignages abondent sur la sainteté de ces mystères : « Heureux, disait déjà l’auteur de l’hymne homérique en l’honneur de Cérès, heureux qui les a vus parmi les hommes habitans de la terre ! Celui que l’initiation n’y a pas fait participer ne jouit pas après sa mort de la même destinée dans l’humide