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paix, c’était pour les Athéniens l’écho de leur propre conscience, et celui qui les prononçait était vraiment avec eux en communion d’émotion patriotique. Dira-t-on qu’en rappelant cette merveilleuse célébration des fêtes d’Éleusis accomplie par l’audace d’Alcibiade, il semble servir les intérêts d’un favori disgracié, d’un homme qui du triomphe était passé à l’exil ? Mais pourquoi ne serait-ce pas son intention ? Car un des derniers conseils qu’il donne, c’est précisément d’avoir recours aux talens de cet homme, dût-on en souffrir à certains égards : « Il ne faut pas nourrir un lionceau dans la cité ; mais, quand on l’y a nourri, il faut se plier à ses mœurs. »

Ainsi on a de bonnes raisons de croire qu’Aristophane, en mettant sur la scène une imitation des mystères, avait présentes à l’esprit ces fameuses Éleusinies qu’Alcibiade avait fait célébrer deux années auparavant ; ce qui n’empêche pas qu’il ait pu penser aussi à la patrie et à la piété d’Eschyle et se souvenir en même temps d’un vers d’Euripide en reproduisant comme celui-ci les idées courantes sur la vie des initiés dans les enfers. L’éclectisme de cette conclusion ne surprendra aucun de ceux qui ont étudié d’assez près l’art d’Aristophane pour reconnaître la complexité des agencemens ingénieux où il se complaît.

Maintenant qu’est-ce au juste que cette reproduction des mystères ? Voilà ce qu’il importe le plus de déterminer pour achever de définir la religion dans Aristophane. Elle forme le sujet d’une grande composition lyrique qui sert à introduire le chœur dans le théâtre, et où le spectacle contribue à l’effet autant que la musique. Par une exception qui est un exemple de la variété de combinaisons dont disposait la comédie, le chœur fait son entrée par une des portes extrêmes de la scène dont il traverse toute une moitié et où il s’arrête longtemps avant de descendre occuper sa place dans l’orchestre. Telle est du moins l’explication la plus vraisemblable parmi celles qu’on a tentées pour rendre compte de ses mouvemens. Annoncée et guidée par le son de la flûte, sa marche est au commencement mêlée de danses, puis interrompue par des stations. Il est composé d’hommes et de femmes, qui portent des torches et sont conduits par les prêtres revêtus des fonctions les plus élevées dans les mystères, l’hiérophante (celui qui préside aux saintes exhibitions) et le dadouchos (porte-flambeau). Les mouvemens, le chant, la déclamation, sont combinés de façon à produire une grande variété. Tantôt le chœur chante tout entier, tantôt les deux parties dont il se compose alternent et se répondent ; tantôt c’est l’hiérophante ou le dadouchos qui prend la parole ; à la récitation chantée des vers lyriques succède le débit solennel de longs vers, que suivent de nouveaux chants de rythmes divers, coupés par la vive déclamation d’ïambes satiri-