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rait-il autrement, puisqu’à ce moment le chœur fait son entrée ? Et comment aussi ne prononcerait-il pas l’invocation mystique à Iacchus, puisqu’il est composé d’initiés et qu’il faut que cette idée soit tout de suite et clairement saisie par le public ? Qu’on lise les deux jolies strophes que forment ces premiers chants, et l’on reconnaîtra facilement qu’il ne s’agit pas encore de la procession sacrée et qu’elles ne représentent pas non plus le début de la fête à Athènes. C’est une image idéale d’une partie publique des Éleusinies qui transporte plutôt l’esprit à Éleusis et dans les prairies voisines, près de la fontaine des Belles danses, la fontaine Callichoros :

« Iacchus, ô toi qui habites ici une demeure vénérée, Iacchus, ô Iacchus, viens dans cette prairie danser avec le thiase saint, secouant l’épaisse couronne de myrte chargé de fruits qui ombrage ton front, frappant le sol d’un pied hardi et te mêlant à nos danses libres, joyeuses, brillantes de grâce, aux danses sacrées des saints initiés.

« Éveille, en les secouant, la flamme des torches, Iacchus, ô Iacchus, astre lumineux de l’initiation nocturne. La prairie étincelle de feux ; les genoux des vieillards bondissent ; ils rejettent les soucis et le poids accumulé de leurs nombreuses années, par l’effet de ton culte saint. Et toi, la torche à la main, guide, ô bienheureux, la jeunesse des chœurs vers les prairies humides et fleuries. »

Assurément, ces chants ne nous donnent pas une simple reproduction de la réalité. On a quelque peine à croire que dans les fêtes d’Éleusis il y ait eu des danses de vieillards, bien qu’Euripide, dans sa peinture des Triétéries thébaines, arme du thyrse deux vieillards décrépits, Cadmus et Tirésias. Non, nous avons ici, comme dans les Bacchantes d’Euripide, une image de l’enthousiasme orgiastique. Bacchus l’apporte avec lui en devenant le dieu des mystères, Iacchus ; il se révèle comme la divinité dont la force vivifiante et merveilleuse interrompt le cours des lois naturelles, rend l’ardeur et la force à la vieillesse. Sans doute il animait particulièrement de ses transports joyeux une des nuits que les initiés passaient auprès du temple éleusinien, et il ne serait pas surprenant qu’un poète comique choisît de préférence, pour y faire allusion, cette partie de la fête. Voici, en somme, quel paraît avoir été pour les Athéniens le sens de ces strophes. Le chœur, chantant dans le théâtre, quand il désigne ici le temple vénéré d’Iacchus, les fait penser au Iacchéion d’Athènes. Puis aussitôt il réveille en eux l’impression de la grande fête sous son aspect le plus brillant, le plus libre, le plus inspiré. Il le fait tout en appelant le dieu pour qu’il guide la procession qui va se former régulièrement. On sait que la statue qui