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le taurophage. » Ainsi les muses sont les divinités auxquelles est demandée l’initiation préalable nécessaire pour assister à ces mystères que le chœur va célébrer, c’est-à-dire à la comédie même des Grenouilles ; et au dieu initiateur, à Bacchus, le taurophage (mangeur de taureau), comme l’appelait la mythologie symbolique de l’orphisme, est substitué le vieux poète comique inspiré Cratinus, grand buveur et grand mangeur, ce qui lui donne droit à la même épithète que le dieu.

Nous sommes donc tout de suite en pleine comédie, et nous y restons. Et en effet viennent ensuite dans la liste d’exclusion les mauvais citoyens qui attisent la discorde, les traîtres de diverses catégories, puis, indiqué par allusion, le poète dithyrambique Cinésias, une des victimes habituelles d’Aristophane ; enfin l’orateur Agyrrhius, coupable d’avoir rogné le salaire des poètes pour se venger de leurs attaques « dans les mystères traditionnels et nationaux de Dionysos. » Cette proclamation de l’hiérophante, c’est donc, sous une forme appropriée au sujet, un de ces discours caractéristiques de l’ancienne comédie, que l’auteur adressait au public par la bouche du coryphée. Elle est, en effet, prononcée par le coryphée revêtu du costume sacerdotal, et il parle en anapestes, mètre consacré pour ce genre d’allocution. C’est enfin, ou peu s’en faut, une parabase.

C’est dans la proclamation de l’hiérophante que paraît le mieux le mélange artificiel d’élémens empruntés aux Éleusinies et aux habitudes comiques, parce qu’en même temps que l’imitation des formes y est plus marquée, la pensée personnelle du poète s’y développe davantage. Cependant l’imitation des Géphyrismes prête à des observations analogues. Disons d’abord en quoi ils consistaient dans la réalité. Quand la procession sacrée était arrivée au pont du Céphise dans le bois d’oliviers, elle y trouvait une foule qui l’y attendait, et la gravité religieuse disparaissait pour faire place à un échange de quolibets et de plaisanteries, de même que, dans la légende conservée par l’hymne homérique, Déméter, la mère affligée, s’était laissé dérider par la gaîté de la jeune servante Iambé, personnification mythologique des ïambes. On voit que dans un pareil sujet la comédie n’avait pas besoin de revêtir un costume étranger ; pour bien imiter, elle n’avait qu’à rester elle-même. En souvenir de la halte au pont du Céphise, le chœur s’arrête aussi dans sa marche, et débite des ïambes satiriques, où se déploie toute la hardiesse comique. Ses traits, souvent intraduisibles, tombent sur le noble et prodigue Callias qui, selon une interprétation moderne, venait de combattre aux Arginuses couvert d’une peau de lion, et sur l’accusateur des généraux vainqueurs à ce combat, Archédémos, « le dé-