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procède évidemment de l’inspiration chrétienne. On ne peut pas nier non plus que les paroles où Jésus prêche la charité, la fraternité, le détachement de ce monde, interprétées par un idéalisme absolu et un ascétisme excessif, n’aient abouti naturellement au communisme, non-seulement tel qu’il a été pratiqué par les disciples immédiats du maître à Jérusalem, mais tel que nous le voyons encore sous nos yeux dans ces milliers de couvens qui remplissent de leur nombre croissant les villes et les campagnes. L’église n’a jamais condamné ce régime social d’où la propriété privée est bannie et où l’idée même du mien et du tien est proscrite comme un attentat à la fraternité. Loin de là, même les plus politiques de ses docteurs, comme Bossuet, y ont vu une sorte d’idéal de la vie chrétienne. Sans doute, il s’agit d’un communisme pratiqué librement ; mais, si tel est l’idéal, n’a-t-on pas raison de vouloir le faire adopter par tous ? En tout cas, il est certain que ceux qui veulent attaquer l’organisation actuelle de nos sociétés n’ont qu’à chercher des armes dans les écrits des pères de l’église : ils y trouveront un arsenal inépuisable. Sur ce terrain, le catholicisme et le socialisme peuvent donc se rencontrer sans peine : il suffit qu’ils se ressouviennent de leurs antécédens et qu’ils remontent à leurs principes.

Il n’est point de plus étrange aberration que celle des démocrates égalitaires qui attaquent le christianisme et qui adoptent les doctrines du matérialisme scientifique. Si l’on prétend modifier l’organisation sociale actuelle, il faut invoquer certains droits méconnus et montrer un autre idéal à atteindre. Le spiritualisme seul cherche dans des idées abstraites de justice et d’ordre rationnel la notion d’un droit supérieur à la réalité et auquel celle-ci doit se conformer. C’est le christianisme qui a fait entrer dans l’esprit des Occidentaux l’idée du « Royaume, » c’est-à-dire l’idéal d’un monde complètement différent de celui qui existe. Le spiritualisme et le christianisme aspirent donc à changer les choses jusqu’à ce que la justice y règne en tout. Le matérialisme scientifique dit comme Pilate : Qu’est-ce que la justice ? Il ne s’occupe, lui, que des faits qu’il constate, et quand ces faits se reproduisent avec régularité et enchaînement, il les appelle des lois naturelles auxquelles il faut se soumettre. Comment concevoir un droit contraire aux faits, c’est-à-dire aux lois naturelles ? Dans la lutte pour l’existence, les mieux armés l’emportent ; les plus faibles disparaissent sans postérité : ainsi s’accomplit le progrès par la sélection naturelle. L’économiste qui se borne à consigner les faits sans poursuivre aucun idéal tient le même langage. Renversez toutes les entraves, établissez la liberté en tout et pour tous, et parmi les individus livrés à la concurrence universelle les plus habiles l’emporteront ; ils deviendront les plus riches, les plus puis-