Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/432

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même avec joie les plus dures épreuves d’une vie de labeur : il compte qu’elles lui vaudront une félicité éternelle. Le christianisme inspire l’esprit de sacrifice, l’esprit d’obéissance, l’esprit de conduite. Il condamne l’ivrognerie, les mauvaises mœurs, la débauche, la révolte. L’ouvrier chrétien sera donc assidu au travail, soumis à ses maîtres, sobre, toujours satisfait et respectueux envers toutes les autorités.

Cette pensée très vraie de Mgr von Ketteler fait comprendre pourquoi les démagogues prêchent le matérialisme athée. L’instinct de tout homme le pousse à chercher le bonheur. Si vous lui enlever l’espoir de le trouver dans une autre vie, où règne la justice, il le cherchera ici-bas. Si la matière seule existe, alors, à tout prix, il lui faudra des jouissances matérielles, immédiates. Les ouvriers diront : Nous avons assez de vos promesses de félicité céleste. Nous ne nous payons plus de ces traites sur l’autre monde. C’est dans ce monde-ci, le seul réel, que nous voulons jouir. Le droit est un vain mot; tout se décide par la force. Nous sommes les plus nombreux. Si nous parvenons à nous entendre, nous serons les plus forts. Royauté, magistrature, culte, armée, parlement, toutes ces institutions ont été créées par nos maîtres pour nous asservir et nous exploiter... Il faut tout renverser, même par le fer et le feu, si c’est nécessaire, afin qu’à notre tour nous goûtions ces plaisirs dont se sont gorgés trop longtemps les capitalistes enrichis de nos dépouilles. — Ainsi d’une part le matérialisme athée, niant l’idéal et le droit, enlève toute base juridique aux revendications du prolétaire, et à ce compte les amis du peuple devraient le repousser; mais d’autre part, en anéantissant tout espoir d’une autre vie, où une félicité sans mélange compenserait les épreuves passagères d’ici-bas, il pousse les masses à renverser l’ordre établi, pour arriver sur ses ruines à la possession de la richesse et des jouissances matérielles qu’elle peut donner. Il est donc évident que ceux qui veulent une révolution sociale accomplie par la violence ont intérêt à prêcher le matérialisme, et que ceux qui propagent cette doctrine leur fournissent des armes. Le christianisme prêche la fraternité de tous, la charité, l’égalité : il honore le travail, qui seul doit permettre à l’homme de subsister, il réhabilite le pauvre et condamne le riche oisif; il n’est donc point de fondement plus solide pour réclamer des réformes au profit des déshérités. Néanmoins la démagogie socialiste le conspue et veut l’anéantir, parce qu’en ouvrant les perspectives d’une autre vie il peut porter les hommes à se résigner aux maux de celle-ci. Nulle doctrine n’est mieux faite que le matérialisme athée pour remplir le cœur des ouvriers de rage et de haine contre l’ordre social qui détermine leur condition, et c’est pour ce motif que les apôtres du bouleversement l’adoptent et la propagent. En