Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/468

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de latin chez un percepteur voisin, qui, comme l’ancien soldat son premier maître, avait étudié pour la prêtrise, et un peu plus tard il peut en recevoir de plus fructueuses d’un pasteur de Mens; mais, quelque passion qu’il ait pour l’étude, il est toujours prêt à tout laisser pour accompagner Neff dans ses prédications ambulantes. Ce dernier l’associe à la fondation d’une école dans la vallée de Freyssinières, l’une des plus hautes et des plus sauvages des Alpes dauphinoises. L’école est installée tant bien que mal « dans un village perdu, pauvre, dépourvu de toute ressource, emprisonné une grande partie de l’année par la neige et les glaces. Il n’y avait à Dormilhouse qu’une auberge, et à cette auberge on ne trouvait que du vin, du pain, et même pas toujours, du fromage, un peu de lait. Il n’y avait !à ni marchand épicier, ni boucher, ni boulanger, ni droguiste, ni pharmacien, ni médecin, ni blanchisseuse, aucune industrie que celle de la chasse au chamois et à la marmotte. » La création de Neff dans ce milieu inculte était une véritable école normale, destinée à fournir tout le pays d’instituteurs protestans. Il y avait réuni trente disciples, à la fois élevât s et maîtres, qui se chargeaient d’instruire les enfans et les adultes des villages de la vallée, en même temps qu’ils s’instruisaient eux-mêmes, et qui, outre l’enseignement donné et reçu, trouvaient le temps de seconder activement leur chef dans sa mission de prédication et de propagande.

Au printemps, l’école se disperse suivant l’habitude du pays. Notre jeune missionnaire va prêcher de côté et d’autre dans les villages qui n’ont pas de pasteurs. Il reçoit bientôt une bonne nouvelle. Grâce à des dons reçus de Genève, Neff peut l’envoyer à Paris pour suivre les cours d’un institut protestant, fondé par ses coreligionnaires de Suisse. C’était la possibilité de reprendre et de poursuivre régulièrement ses études classiques. Désormais le but est proche, et nul sacrifice ne lui coûte pour l’atteindre. « Nous menions, dit-il, une vie bien modeste; on nous allouait par mois une somme de 60 ou 70 francs; il fallait là-dessus se nourrir, s’habiller, se loger, se chauffer, s’éclairer, se fournir de papier, encre, plumes et livres. Nous dînions dehors pour 80 centimes et nous déjeunions chez nous. Nous n’avions pas toujours le nécessaire, mais nous n’avions garde de nous plaindre; nous étions contens. L’étude eût remplacé pour moi bien des choses utiles ; j’étais trop heureux d’étudier, même à cette condition. »

M. Martin-Dupont avait vingt-trois ans quand il vint à Paris en 1826. Il n’y resta que quelques mois, qu’il employa fructueusement à suivre, outre les leçons de l’institut Ollivier, les cours publics de la Sorbonne, du Collège de France et du Muséum d’histoire naturelle. L’année suivante, Neff l’ayant fait venir près de la faculté de théologie protestante de Montauban, il y compléta ses études littéraires, parcourut le cercle des études théologiques, et fut enfin consacré pasteur à l’âge de vingt-huit ans. Nous ne le suivrons pas dans les divers postes qu’il a occupés, au Mas-d’Azil