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Elle veille au ménage, à la couture, à la propreté générale, à la comptabilité, aux achats des denrées, à leur distribution journalière; elle tient la place de plusieurs et rien ne souffre de ce à quoi elle met la main ; elle s’aperçoit des moindres lacunes que d’autres ne verraient pas, des moindres négligences dans le service. »

Tout était à créer dans la colonie, lorsque M. Martin-Dupont en prit la direction. « C’était sur la rive droite de la Dordogne, de l’autre côté de Sainte-Foy, un enclos comprenant champ, pré et jardin, une vigne de la contenance de 3 hectares avec une belle maison non encore achevée, au milieu. » Il fallut d’abord achever la maison et l’approprier à sa nouvelle destination. Puis, la propriété étant insuffisante, il fut nécessaire de l’agrandir. « Avec les années, nous avons ajouté parcelle à parcelle, champ à champ, vigne à vigne. Ces parcelles ne font pas un tout rassemblé, il s’en faut bien ; elles sont éparses, et c’est là un grand inconvénient. Une colonie agricole pénitentiaire doit être une ; elle doit être reliée dans toutes ses parties, avec les bâtimens au centre, d’où l’on puisse tout embrasser d’un coup d’œil et, en cas d’accident, s’avertir d’un bout à l’autre. Un surveillant voisin d’un autre, à la tête de son escouade de colons, aura tout plus facile; il sera aidé dans le besoin. Seul, à l’écart il peut rencontrer moins de docilité dans les colons qu’il fait travailler et dont un seul, mal avisé, peut tout compromettre. Les refus d’obéissance, les cas d’évasion ont moins l’occasion de se produire; on peut mieux y obvier. Or cela est impossible si l’un est à l’est, l’autre à l’ouest, au nord ou au sud. »

Non-seulement le domaine de la colonie est trop morcelé, mais il n’a jamais pu recevoir l’extension nécessaire pour occuper tous les colons. Il a fallu chercher du travail au dehors et, pour cela, vaincre la défiance des cultivateurs voisins à l’égard de jeunes gens frappés par la justice. On y réussit. On put ainsi suppléer au travail des champs par de petites industries, faire des sabots, des vêtemens, tresser des roseaux de marais pour confectionner des nattes et des paillassons. « Cela rapportait peu, mais on n’était pas oisif. » Avec des ressources toujours précaires, le directeur fit des prodiges de zèle pour épargner à ceux qu’il appelait « ses enfans » les privations les plus sensibles et surtout la plus funeste de toutes, celle du travail.

Ce n’était là que la moindre partie de sa tâche. « L’amendement de l’enfant par la terre et de la terre par l’enfant, » tel est, depuis Mettray, le programme de toutes les colonies pénitentiaires ; mais pour remplir ce programme, le travail agricole n’est pas tout, même sous la direction la plus habile et la plus dévouée ; l’œuvre principale est le travail de l’âme sur l’âme elle-même, l’effort direct et persistant pour cultiver le sol le plus ingrat : des êtres humains sans rien d’humain, pour ainsi dire, dès leurs premières années et souvent dès leur naissance. « Plusieurs