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marche avec une singulière confiance, qu’il a été heureux jusqu’ici, et que, pour le moment, sans contester ce qu’il y a de sérieux dans l’état de l’Europe et du monde, il ne veut pas croire à un danger réel.

On ne peut le nier, le ministère anglais, conduit par celui que M. de Bismarck appelait un jour, avec un peu de dédain, le romancier, a brillamment joué sa partie dans la mêlée des affaires contemporaines, et il n’a peut-être réussi à surmonter jusqu’ici toutes les difficultés que par une certaine hardiesse. Si lord Beaconsfield a fait un roman de plus, il a été un habile et audacieux inventeur. Tout ne se passe pas aussi simplement et aussi vivement en Autriche où la politique ne peut faire un pas qu’en se frayant un chemin à travers toute sorte de complications extérieures ou intérieures, même à travers des crises ministérielles comme celles qui existent depuis quelques semaines à Vienne et à Pesth.

Ce que l’Autriche gagnera définitivement par cette occupation de la Bosnie et de l’Herzégovine qu’elle méditait depuis longtemps et à laquelle elle ne s’est décidée qu’avec la sanction du congrès de Berlin, c’est le secret de l’avenir. Pour le moment, elle est à coup sûr dans des conditions assez étranges et assez difficiles. Elle a commencé par être obligée de conquérir réellement la Bosnie et l’Herzégovine à main armée, de vaincre une insurrection qui a été trop énergique pour n’être pas jusqu’à un certain point nationale. Elle reste aujourd’hui maîtresse de ces populations soumises, couverte diplomatiquement par un mandat européen, placée en face de la Porte, qui est censée garder la souveraineté de ces provinces, mais avec laquelle le cabinet de Vienne ne s’est pas même entendu encore sur les conditions véritables de l’occupation. Qu’est-ce réellement que cette occupation militaire qui implique l’administration de la Bosnie et de l’Herzégovine ? Est-ce désormais une conquête achetée par le sang des soldats autrichiens ? Est-ce le prélude d’une annexion définitive à laquelle on se réserve de donner son vrai nom quand le moment sera venu ? Ce qu’il y a de plus clair, c’est que l’Autriche se trouve engagée dans une situation peut-être inextricable et que, n’ayant pas sans doute l’intention de reculer, elle ne peut cependant avouer ses desseins sans mettre en mouvement tous les antagonismes de race dans l’empire. Cette occupation même, qui est aujourd’hui accomplie, elle n’a pu se faire sans réveiller les ombrages, l’opposition la plus ardente dans le parti magyar de Hongrie comme dans le parti constitutionnel d’Autriche et sans provoquer la double crise ministérielle qui a éclaté.

A Vienne, la crise a commencé par la démission du ministère que présidait le prince Auersperg et qui n’est pas encore remplacé, faute d’une combinaison possible dans l’état actuel des partis. Tout récemment il y a eu dans la chambre des députés une discussion des plus vives à la suite de laquelle a été votée une adresse blâmant la direction