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L’ÎLE DE CYPRE.

retenir les eaux au moyen de barrages, de les distribuer partout à l’aide de canaux d’irrigation. Maintenant les torrens, après les grandes pluies d’hiver, se promènent capricieusement au milieu des champs cultivés ; ils les emportent ou les ensablent à leur gré. Ailleurs, ils laissent des marais pestilentiels. Enfin l’eau, que nulle part l’homme ne s’est appliqué à retenir et à conserver, fait partout défaut, une fois les chaleurs venues ; à peine s’en glisse-t-il un mince filet entre les pierres qui encombrent le lit des rivières. Pas une goutte n’en parvient aux racines altérées.

Cette grande plaine, avec les vallées latérales qui en dépendent, occupe à peu près la moitié de la surface de l’île. Le reste est couvert par deux massifs montagneux qui se font vis-à-vis, mais qui sont loin d’avoir la même importance et la même étendue. Celui du nord n’est autre chose qu’une longue arête de calcaire jurassique, dont la base est formée, sur ses deux versans, par le grès de Vienne ; les points les plus élevés n’en paraissent pas atteindre tout à fait un millier de mètres[1]. Du côté de la mer, où elle fait face aux cimes toujours neigeuses du Taurus cilicien, elle tombe à pic, en beaucoup d’endroits, jusque dans les flots. Ce sont, comme sur la côte méridionale et occidentale de la Crète, de formidables escarpemens, de grandes falaises rocheuses, rougies ou dorées par le soleil, où habitent par milliers les pigeons sauvages. Il y a pourtant quelques anses, assez bien abritées, où des bâtimens de très faible tonnage, tels que caïques et felouques, peuvent trouver un asile : ainsi le petit port de Keryniœs, qui a gardé son nom antique et dont il est sans cesse question dans les guerres du royaume franc de Cypre. C’est aussi sur des pics appartenant à cette chaîne que se dressaient les châteaux forts de Saint-Hilarion, de Kantara et de Buffavento, si souvent assiégés et pris dans ces mêmes luttes ; ils dominaient au loin la plaine, dont les habitans ne les regardent point, aujourd’hui même, sans quelque terreur ; ils en croient les ruines hantées par les mauvais esprits. Dans les flancs de ces montagnes se creusent quelques courtes et profondes vallées, tournées vers le nord, dont on vante la fraîcheur, les beaux ombrages, les vergers luxurians ; mais la place manque au pied de cette haute muraille. Autrefois même, quand l’île était le plus prospère et le plus peuplée, cette côte ne possédait pas une seule cité de quelque importance ; tout au plus y avait-il sur ce rivage de petites villes maritimes, telles que Lapethos, Kerynia, Aphrodision, Carpasia, qui vivaient de la pêche et du trafic qu’elles

  1. Sur la composition géologique du sol de l’Ile et sur l’âge relatif de ses terrains et de ses montagnes, on trouvera des détails précis dans on travail que M. Albert Gaudry a donné à la Revue, le 1er novembre 1861, sous ce titre : L’île de Chypre, souvenirs d’une mission scientifique.