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CRISPIN.


Mange-t-elle?

FERNAND.


Un petit, grâce aux dieux.

CRISPIN.


Elle n’est donc pas morte?

FERNAND.


Elle? nenni.

CRISPIN.


Tant mieux.
Je m’en réjouis fort.

FERNAND.


Et de quoi? Cette vie
Avant la fin du jour lui peut être ravie.

CRISPIN.


Tant pis. L’a-t-on fait voir à quelque médecin?

FERNAND.


Nullement.

CRISPIN.


Elle a donc quelque mauvais dessein,
Puisqu’elle veut mourir sans aucune ordonnance.
De ces sortes de maux notre école s’offense.
Quand un homme se trouve en état de périr.
Toujours un médecin doit l’aider à mourir,
Et c’est faire éclater des malices énormes
Que vouloir refuser de mourir dans les formes.
Instruisez votre fille et lui dites du moins,
Pour mourir comme il faut, qu’elle attende mes soins.
Son âme à déloger est trop impatiente.


Voilà un style franc, une bonne facture, ce sont des vers à la vieille marque. Molière a pu s’en souvenir même dans la prose du Médecin malgré lui. Quant aux plaisanteries du fond, elles remontent aux Italiens ; seulement, cette fois encore, comme avec Boisrobert, comme avec Cyrano de Bergerac et Rotrou, Molière fécondait l’idée comique à peine entrevue de ses prédécesseurs, et, par les trésors qu’il en faisait sortir, y mettait son empreinte souveraine. C’est le vrai sens du mot si souvent cité à faux : « Je prends mon bien où je le trouve. »

Nos lecteurs s’exposeraient à une déception s’ils espéraient rencontrer dans ces comédies de la jeunesse de Boursault, le Mort vivant, le Médecin volant, les Cadenas, les Nicandres, beaucoup de passages comme celui que je viens de reproduire. Je les avertis consciencieusement que j’ai pris le dessus du panier. On peut dire seulement sans rien surfaire qu’au milieu des faiblesses et des trivialités