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gens du pays en toute liberté. Alibée est intelligent, ouvert, aimable, d’une franchise et d’une ingénuité qui enchantent le roi. Schah-Abas est tout surpris d’entendre parler si naturellement. Il emmène Alibée à la cour et lui fait donner des maîtres. Le jeune berger apprend à lire, à écrire, il apprend les arts et les sciences qui ornent l’esprit, il devient enfin le favori du roi, qui lui donne bientôt une charge très considérable en Perse, celle de garder le trésor du palais, tout ce que le prince possède de pierreries et de meubles précieux. On devine la suite, les jalousies, les perfidies, les accusations calomnieuses, accusations bien redoutables surtout pour le pauvre Alibée quand son bienfaiteur Schah-Abas est mort, et qu’un nouveau souverain, jeune, crédule, accessible aux flatteurs, est monté sur le trône. Lui aussi, on l’accuse d’avoir dérobé les richesses de l’état, lui aussi est obligé d’ouvrir certaine armoire de fer où sont enfermés les diamans qu’il a volés. Qu’y trouve-t-on ? Sa houlette, sa flûte et son habit de berger. Vieille histoire qui remonte aux premières sociétés humaines ! Fénelon la racontait à son royal élève, le duc de Bourgogne, comme La Fontaine la racontait aux hommes du XVIIe siècle. Est-ce à Fénelon, est-ce à La Fontaine que Boursault a emprunté l’idée de son œuvre, de ce qu’il appelle sa « comédie héroïque ? « Il n’importe. Ésope accusé injustement, Ésope ouvrant le coffre où sont enfermés, dit-on, les trésors qu’il a dérobés au monarque, et montrant à tous ce qu’il y garde précieusement, sa tunique d’esclave, — ce n’est là que le cadre de la comédie de Boursault. Le sujet, cette fois encore, ce sont les personnages, ceux que la cour va mettre en rapport avec Ésope, et qui, comme ceux de la ville, vont recevoir les leçons du sage. Que le cadre soit noble, touchant, héroïque ; au fond, l’important pour l’auteur c’est la pensée morale et instructive. Il le dit et sans nul pédantisme :

Je laisse aux grands esprits à choisir dans l’histoire
Des événemens de grand poids.
C’est un si vaste champ que le champ de la gloire,
Qu’on y peut arriver par différens endroits.
Les Grecs et les Romains ont épuisé les veilles
Des Racines et des Corneilles.
Molière a critiqué les habits et les mœurs.
Et je souhaiterais, avec l’aide d’Ésope,
Pouvoir déraciner des cœurs
Les vices qu’on y développe.


Nous sommes donc à la cour de Crésus. Ésope revient du voyage qu’il a fait par ordre du roi, il a terminé son inspection, il a accompli sa tâche de justicier. Un cri de reconnaissance, sorti de toutes les villes, de tous les bourgs, s’est élevé jusqu’au monarque. Ésope a été le fidèle exécuteur des intentions du souverain, et le souverain recueille dans les bénédictions du peuple le fruit de