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était alors vicaire de l’ordre ; le poète, qui lui avait adressé de si honnêtes conseils au moment de son entrée en religion et qui avait dirigé ses débuts avec tant de bonne grâce, voulut recevoir de lui les secours suprêmes.

Il y a là encore de touchantes harmonies qui achèvent de peindre l’honnête homme. Le théatin était bien le fils de son père ; quelques années plus tard, vers le temps où Montesquieu écrivait un si magnifique éloge d’Ésope à la cour, Mlle Aïssé, ramenée à la religion par son amie de Genève, Mme Calandrini, lui écrivait qu’elle avait demandé un directeur à Mme du Deffant, et que ce directeur était le père Boursault, alors supérieur général des théatins. « Il a beaucoup d’esprit, lui dit-elle, bien de la connaissance du monde et du cœur humain. Il est sage et ne se pique pas d’être un directeur à la mode. » C’est le fils de Boursault qui aida Mlle Aïssé à se réconcilier avec Dieu, comme on le voit dans ses dernières lettres datées de 1733. Singuliers rapprochemens qui, des batailles littéraires du XVIIe siècle, nous conduisent, à travers tant de péripéties, jusqu’au lit de mort de Mlle Aïssé ! C’est un vrai type d’honnête homme que ce poète souriant qui, tout humble et tout modeste, à su charmer Louis XIV, apaiser Boileau, désarmer Bossuet et préparer si gentiment le plus sage des directeurs pour la plus douce des pénitentes.

Voilà comment la vie et les ouvrages d’un écrivain de second ordre nous font souvent pénétrer dans l’intimité d’une grande époque beaucoup mieux que les destinées glorieuses et les immortels chefs-d’œuvre. On souscrira, je l’espère, à mes conclusions, si je dis que l’auteur du Mercure galant, d’Ésope à la ville, d’Ésope à la cour, placé sans doute assez loin des maîtres, a droit au souvenir de l’histoire littéraire et à la reconnaissance publique. Celui que le grand Corneille appelait son fils, celui qui, blessé par Molière, a pleuré si noblement sa mort, celui qui a si vivement peint tant de figures empruntées à la société de son temps, celui qui a mis la morale pratique sur la scène et tracé de la royauté idéale une image si haute, celui-là certainement, malgré les imperfections de ses écrits, doit garder un rang très honorable parmi les hommes qui ont bien mérité de la France.


SAINT-RENE TAILLANDIER.

M. Charles-Auguste-Joseph Lambert. M. Lambert, ancien chef de division à la direction générale de l’enregistrement et des domaines, vient de publier à l’âge de quatre-vingt-douze ans une histoire de sa ville natale qui atteste les recherches les plus laborieuses. Ce qui concerne les dates de la vie de Boursault dans l’ouvrage de M. Lambert est traité avec tout le soin et toute la précision possibles. Voyez Histoire de la ville de Mussy-l’Evêque (Aube), par Charles-Auguste-Joseph Lambert, 1 vol. grand in-8o. Chaumont, 1878.